J’avais mis un de mes plus beaux tee-shirts pour une soirée avec des potes à faire le tour des bars et à boire en rigolant et en embêtant quelques chalands. C'était le tee-shirt "Run like Lucifer is waiting for you at the finish line", et moi je voulais bien courir n'importe où et très très vite, si Lucifer m'attendait quelque part. (Comme si Lucifer allait m'attendre quelque part, c'est un doux rêve, mais je crois pas que Lucifer aime attendre qui que ce soit, s'il doit attendre, c'est que c'est déjà trop tard). Mais bon, le tee-shirt a méga la classe, et moi j'aimais bien me vanter et exposer mes sentiments à la vue du premier venu.

Cela pouvait jouer des tours, rien que ce soir par exemple. Une femme que nous croisâmes dans la rue s'arrêta pour me jauger de ses petits yeux chafouins, et soudain me dit "vous n'avez pas honte ?" Et moi, sans savoir de quoi elle parlait, je me suis mis à lui rétorquer que la honte c'était épuisant alors que non, je n'avais jamais honte de rien. Qu'il fallait vivre en faisant en sorte de s'amuser. Pourtant la gueuse insista "vous devriez avoir honte jeune homme, d'ainsi parler de Lucifer, Dieu vous punira". Que vouliez-vous que je fasse ? J'ai éclaté de rire, voilà tout. Je me fichais de Dieu, il n'avait jamais pointé le bout de son nez dans nos affaires, c'était un grand silencieux, je ne savais même pas à quoi il ressemblait. Et pour tout dire, j'avais parfois des doutes de son existence. Peut-être qu'il était mort dans son Royaume et que personne ne le savait. En revanche, Lucifer était bien là, il avait du bagou, de la présence (et prestance) et beaucoup de classe. Les gens auraient moins perdu leur temps en priant Lucifer, à mon avis.

Bref, la vieille carne (bien plus jeune que moi, mais beaucoup plus ridé) m'a fusillé du regard, s'est drapé dans sa dignité, m'a traité de sacripant et puis s'est éloignée la tête haute. J'ai continué à rire et on a bu, avec mes amies, à la santé des bonnes gens et de notre amie la vieille aux yeux chafouins.

J'étais de très très bonne humeur et notre bande s'agrandissait au fur et à mesure des bars parce que j'embarquais avec nous des gonzesses et des petits gars, c'était un soir de fête en l'honneur de rien du tout. D'autant plus que la ville était attaquée par des sentinelles et que nous aurions dû plutôt faire profil bas, mais c'était pas mon genre franchement, et puis j'avais pas vraiment peur des sentinelles non plus. Nous arrivions dans un douzième bar pour se réjouir un peu plus et goûter la boisson - bon plus que goûter, j'étais déjà très joyeux d'alcool, sans être totalement bourré non plus - quand j'aperçus un blondinet à l'air morose. Comme je suis un bon gars, la plupart du temps, je me suis dit que j'allais l'intégrer à notre équipé, que ça lui donnerait de la joie. Je m'approchai donc du compère blond, afin de lui parler. Je trébuchai un peu sur mes jambes avant d'arriver vers lui et m'écroulai sur sa table, renversant son verre. Ce qui me fit joyeusement marrer, de toute façon je lui en repayerais un.

- Oups, désolé, voilà que je perds la notion de la marche et que je confonds ma jambe gauche et ma jambe droite.

Je remis son verre, désormais vide, en place et approchai mon visage du jeune homme :

- Je vais te payer une autre boisson pour me faire pardonner ma maladresse, et en échange, tu te joins à notre joyeuse bande, d'accord ?

- Ça t'amuses, toi et ta bande, de débarquer, en étant déjà incapable de tenir en équilibre, et d'ennuyer ceux qui ont rien demandé ?

Je souris, j'étais prêt à dire que oui, ça m'amusait. Ça m'amusait même beaucoup, car à quoi bon vivre 508 ans si c'était pour faire des choses sérieuses et ennuyantes ? J'étais prêt à expliquer à ce garçon grognon qu'il fallait sourire et s'amuser et se déséquilibrer pour que la vie soit amusante, et j'avais à peine ouvert la bouche que le jeune homme continua.

Il me fallut deux secondes pour comprendre ce qu'il faisait.

Oh oh...

Je me retrouvai projeté loin derrière, contre le mur. Mon dos s'écrasa et j'eus un instant le souffle coupé, j'atterris assez brutalement sur les fesses, tandis que certains clients du bar se mettaient à crier inquiet par ce qu'il venait de se passer. Les plus naïfs devaient penser que le jeune homme avait beaucoup de force, les autres savaient peut-être que la magie existait. Je me relevai lentement, autant dire que se prendre un mur m'avait un brin dessaoulé. Je m'époussetai et avançai tranquillement jusque devant la table du garçon, puis lui dis ce que j'avais initialement prévu de lui dire :

- Je m'amuse beaucoup et j'allais te conseiller d'en faire autant, mais je vois que tu as d'autres jeux, un peu plus violent que les miens. Mais bon, puisque tu veux jouer...

Je lançai une incantation à mon tour, oh rien de bien long, ni d'original. J'avais la flemme de la dire en elfique - et j'étais encore trop saoul pour être cohérent dans cette langue (je ne voulais pas faire une connerie) aussi me contentais de faire de la poésie dans ma langue natale :

- En petit confettis, s'effondrera
Ton siège sous ton séant se détruira.

Et Bim, la chaise sous les fesses du garçon se désintégra, le faisant basculer. Je souris et m'éloignai pour commander deux verres. Je revins vers sa table :

- Nous sommes partis sur de mauvaise base, dis-je, tiens voici un verre, bois et détends-toi.

J'approchai une chaise avec une autre incantation, me prenant peut-être un peu pour Mickey dans Fantasia, utilisant la magie à mauvais escient peut-être (et alors ? La magie doit être utilisé ou elle disparaîtra).

- Voici une nouvelle chaise.

Je m'assis moi-même en face de lui et dit :

- Je suis Hyppolite et toi ? Impressionnante ta petite incantation de tout à l'heure en tout cas. Peut-être un peu trop impulsive, mais bien maîtrisé. Et puis ça fait toujours plaisir de rencontrer un autre sorcier, Harry Potter !

C'était nul, je sais bien. Mais c'était marrant. Et Harry Potter avait clairement la classe non ? Non ?
Bien sûr que si. Dommage qu'il n'existait pas...

- Je ne m'appelle pas Harry Potter.

Cette remarque était tellement... À côté de la plaque, que je restai dubitatif une seconde, avant de franchement éclater de rire. L'alcool aidait à mon hilarité, certes, mais franchement ce type était super drôle. Comment il avait dit sérieusement, je ne m'appelle pas Harry Potter. Mais qui aurait dit ça aussi sérieusement après une blague aussi débile. Je... Ne... M'appelle... Pas... Harry Potter. Heureusement que j'étais immortel, sinon j'allais mourir purement et simplement de rire. Je ne m'appelle pas Harry Potter, jamais je ne m'en remettrais vraiment.

Et me voilà à me gausser de cette remarque que je trouvais un peu décalé, oubliant totalement que le jeune homme était malpolie et sorcier. Tout ça parce qu'il ne s'appelait pas Harry Potter. D'ailleurs peut-être avait-il dit ça car il ignorait qui était le fameux Harry Potter. Pouvait-on ignorer l'existence de ce petit sorcier qui avait fait rêvé des milliers de gens ? J'avais des doutes, à moins que ce garçon ne vive dans une grotte. Il n'avait pas l'air d'être le genre à vivre dans une grotte, peut-être à part le côté un peu grognon de l'ours des cavernes; Sinon, il paraissait trop propre, il devait vivre dans une maison et donc avait forcément entendu parler de Harry Potter.
Et il ne s'appelait pas Harry Potter. AH AH AH !

Bon évidement j'ai beaucoup moins ris quand il m'a traité d'imbécile, m'a dit de dégagé et a utilisé ses pouvoirs pour scier ma chaise et me blesser, m'imposant de nombreuses coupures sur le corps. Ce môme utilisait donc le vent, intéressant comme pouvoir. Et douloureux :

- Mais aïïïe, me plaignis-je, c'est pas très sympa ça tu sais. Surtout à quelqu'un qui t'offre un verre.

Puis je retrouvai le sourire :

- Ma gardienne va encore se demander dans quels ennuies je me suis fourré pour avoir des petites coupures.

Même si les dites coupures allaient bien vite guérir, Hyppolite s'amusait à ralentir la guérison rien que pour enquiquiner sa gardienne.

- Dans tout ça, tu ne m'as toujours pas donné ton nom, monsieur "je ne m'appelle pas Harry Potter",dis-je avec amusement.

Je bus mon verre, l'alcool coulant en moi tranquillement.

- Je vois que tu as un pouvoir puissant et intéressant, le vent. Un de mes amis possède ce pouvoir aussi. Bien que lui l'aurait utilisé beaucoup plus violemment, j'imagine.

Après une nouvelle gorgée j'ajoutai :

- Tu dois être plus doux que tu ne le montres.

Non seulement le garçon refusa de me donner son prénom, me traitant de fou (ce qui était fort impoli), mais en plus il commença à faire mumuse avec le vent, me faisant traverser toute la pièce avec son pouvoir, ne m'épargnant ni les chaises, ni les tables que je me prenais en pleine face, ou dans le dos. La plupart des gens avaient déserté le bar de peur, tandis que moi j'avais encore envie de rire. Qu'est ce que c'était que ça ? Les montagnes russes ? Bon d'accord c'était un peu douloureux et alors ? J'attendis patiemment que le garçon se calme et me laisse tomber comme un malpropre sur le sol. Je me relevai, me recoiffer d'une main, remis ma chaise droite et me rassit près de lui.

- J'aime bien les manèges, dis-je simplement, mais maintenant j'ai un peu envie de vomir, faut pas secouer un type qui a bu.

Ceci dit, je me retenai de dégobiller salement sur la table, à la place je continuai de parler :

- Et puisque tu ne veux pas me donner ton nom, disons que je vais t'appeler Gérard okay ?

Je lui fis un petit sourire et lancé doucement une incantation en elfique - le tour de montagne russe m'avait suffisamment dessaoulé pour ça. Le sort consistait à paralysé à la fois le garçon et ses pouvoirs. Un petit tour de magie qui n'aurait jamais fonctionné sur un puissant démon ou très puissant sorcier, mais sur un gamin ? C'était plutôt simpliste.

- Bien, Gérard, maintenant que tu es prêt à arrêter tes petits tours, on va pouvoir faire connaissance, tu veux bien.

Je lui offrit un sourire et demandai-je :

- Alors dis moi, ta petite amie ou ton petit ami t'a largué et tu as tellement de peine que tu te venges sur un vieux comme moi ? C'est pas très sympa ça quand même. Et puis tu sais, l'amour ça va, ça vient, tu trouveras bien quelqu'un d'autre, t'en fais pas.

Je laissai le gamin parler, il était en colère. Comme un gosse faisant un caprice, ne sachant pas comment se calmer, voulant simplement obtenir queque chose et pensait que la manière forte, s'énerve et criser et balancer les gens, était la bonne manière. Moi, j'étais plutôt du genre à avoir envie de le titiller encore plus, et plus il s'énervait, et plus je voulais simplement lui tirer les joues gentiment et l'enquiquiner.

- Ouch, tes paroles me blessent, dis-je faussement. Ahlalala les gamins, on veut simplement causer avec eux et voilà qu'ils s'énervent, et qu'ils sont malpolies. Hein Gérard? C'est de toi le gamin que je parle. On t'a jamais dis qu'il fallait respecter ses aînées ? Surtout quand ils ont un tout petit peu plus de pouvoir que toi.

Je bu tranquillement mon verre puis :

- Franchement, imagine que tu rencontres Lucifer en personne, si tu lui parles comme ça, tu vas finir en barbecue avant d'avoir eu le temps de refermer la bouche. Et crois moi, le barbecue d'humain, ça sent pas hyper bon. C'est pas comme le porc. Et en plus brûler, ça fait mal.

C'était la seule chose qui pouvait me tuer, en plus de me faire couper la tête, mais je me garderais bien de le dire.

- Et puis il y a une façon de demander les choses, tu aurais pu dire "tu vas me foutre la paix, s'il te plaît". J'y aurais peut-être réfléchis, mais maintenant c'est trop tard. Je suis curieux tu vois, et je voudrais bien savoir pourquoi un gosse qui possède le vent s'énerve autant contre un pauvre sorcier alcoolique et innocent. Dis moi tout. Elle ou il s'appelait comment ?

Je réfléchis un instant avant de demander :

- À moins que tu ne sois qu'un crétin ou un psychopathe ? J'avoue que ce serait moins intéressant. Mais soit, si c'était le cas, je devrais peut-être te lancer d'autres sorts, beaucoup moins sympa.