Il faisait chaud, il faisait bon, on était un vendredi soir : toutes de bonnes raisons pour en profiter, aux yeux d’Emily. Elle aurait pu rentrer sans problèmes à son appartement, mais maintenant que sa journée était finie, la clairvoyante avait peu envie de rentrer chez elle directement. Elle s’était donc promenée en ville, avait cédé à la tentation d’acheter une glace, et maintenant qu’elle l’avait finie, elle s’occupait désormais de visiter un peu la ville.

Emily ne la connaissait pas encore très bien, il fallait l’avouer, mais elle commençait petit à petit à reprendre ses repères. Aujourd’hui, la jeune femme s’était plus dirigée vers la plage, et c’était avec un certain plaisir qu’elle avait quitté les rues commerçantes pour aller plus du côté de la mer. Cela faisait longtemps qu’elle n’y avait pas été : la clairvoyante avait toujours habité un milieu plus urbain, après tout, et son père n’avait jamais été friand des voyages. Elle avait donc déjà vu la mer en présence de quelques amis, mais à dire d’en profiter, Emily n’en était pas si sûre. Il était donc un peu temps de rattraper ça, même s’il faudrait qu’elle pense à appeler l’un ou l’autre ami à l’avenir.

La plage était relativement déserte, mais ce n’était pas comme si cela dérangeait la mutante. Un peu de calme lui faisait du bien, et même si elle avait le vent en pleine face, respirer l’air du large était quand même agréable. Cet instant de solitude avait aussi l’avantage de remettre un peu ses idées en place : il fallait toujours qu’elle trouve sa sœur après tout, et la clairvoyante ne savait pas vraiment si elle était sur une bonne piste. Ironiquement, sa clairvoyance ne semblait pas disposée à lui donner un indice sur la position à suivre : ç’aurait été trop facile, bien sûr, mais parfois, la facilité ne faisait jamais de mal, non ?

Dans tous les cas, Emily pouvait quand même apprécier le spectacle qui s’offrait à elle. Les rayons du soleil se reflétaient à la surface de l’eau, et dans un ciel dégagé de tout nuage, cela donnait un très beau spectacle à contempler. Un instant, la jeune femme demeura immobile, puis elle décida de simplement marcher de l’eau. Après, elle rentrerait… Et elle aviserait à ce moment-là.

Ses plans furent quelque peu modifiés suite à l’arrivée de gosses sur la plage. Ils n’étaient pas seuls, puisqu’il y avait aussi un jeune homme d’une vingtaine d’année qui était endormi sur le sable. Seulement, les enfants voulurent jouer, et s’emparèrent du sac que l’homme semblait avoir pris avec lui. Fronçant les sourcils, Emily les aborda d’une voix sèche en montrant clairement sa désapprobation.

- Hey ! Vous pouvez rendre ce sac à son propriétaire ?!

Un instant,  Emily crut qu’ils allaient partir avec leur butin, mais ils se contentèrent de jeter le sac un peu plus loin dans le sable en s'enfuyant le plus rapidement possible. Ils ne semblaient pas être de véritables mécréants, mais quand même, c’était des choses qui ne se faisaient pas…

Avec un soupir, l’étudiante à l’Institut alla récupérer le sac et se dirigea vers l’homme qui dormait il y a peu. Il y avait toutes les chances qu’il se soit réveillé désormais, et avec un sourire d’excuse, Emily lui tendit son sac.

- Désolé, ces gosses ont voulu vous prendre votre besace. Je crois qu’ils le faisaient plus pour jouer, mais bon, dans le doute, j’ai préféré intervenir… Tenez, le voici.

Il était difficile de savoir ce que le jeune homme pensait devant elle. Elle avait beau lui avoir dit d’essayer de surmonter sa crainte petit à petit, c’était toujours plus facile à dire qu’à faire, d’autant plus qu’Emily ne savait pas ce que l’étudiant à l’Institut avait traversé. Au fond, elle n’était pas trop sûre de le vouloir, surtout depuis que sa clairvoyance lui montrait le passé des gens. Elle pourrait peut-être toujours l’écouter si besoin était - elle n’était pas une sans-cœur, après tout -, mais la libraire était aussi un peu mal placée pour cela aussi.  Notamment parce qu’elle ne le connaissait pas, et il fallait être honnête, ça ne l’aurait pas vraiment fait de se confier à une totale inconnue. Mais bon.

Elle ne le retint pas lorsque l’étudiant à l’Institut s’absenta quelques minutes : c’était son problème, et s’il ne voulait pas parler, c’était son choix aussi. Il décida néanmoins de lui répondre à son retour alors qu’il s’était changé pour plonger dans l’eau. Il avait de quoi dans son sac, apparemment, ce qui n’était pas le cas d’Emily.

Visiblement, le jeune homme était aussi ici alors qu’il passait devant la plage. A la bonne heure, cela n’arrivait pas qu’à elle, ainsi. Par contre, elle ne savait pas qu’il y avait un parc d’attraction dans les environs, et Emily essaya de garder cette information dans sa mémoire. Elle n’y irait pas tout de suite, peut-être même qu’elle n’y irait pas avant quelques mois, mais c’était toujours bon à savoir.

Puis, il lui parla de retourner dans l’eau. Il devait s’y être passé quelque chose, comme le jeune homme lui parla d’un « terrible événement », mais il n’entra pas plus dans les détails. Au fond, Emily ne s’en offusqua pas : elle n’était qu’une étrangère, et il y avait des choses qui mettaient beaucoup de temps pour qu’on puisse en parler. Par contre, quand la libraire l’avait encouragé à nager de nouveau, elle ne pensait pas qu’il le ferait maintenant. Elle avait plutôt cru qu’il le ferait en présence d’amis qui le comprendraient… Plutôt que sur une plage déserte où il n’y avait quasi personne.

Mais elle n’eut pas le temps de le lui faire remarquer : l’étudiant plongea dans l’eau, y fit quelques brasses, puis revint sur la berge. Il ne tarda pas à y replonger, sans doute pour essayer de vaincre réellement sa peur, celle dont elle ignorait tout. Mais malgré ses craintes, le jeune homme semblait quand même s’en sortir.

- N’allez pas trop loin ! cria-t-elle.

Pour elle, ce ne serait pas possible de nager. Non seulement elle n’en avait pas vraiment envie, même s’il faisait bon, mais en plus, elle n’avait pas le nécessaire pour aller dans la mer. Elle ne pouvait donc qu’attendre, en soi, et la jeune femme décida donc de s’asseoir. C’aurait été un peu malvenu de partir maintenant de toute façon.

Le sable était chaud et elle attendit que le jeune homme revienne sur la rive pour reprendre la parole.

- Apparemment, vous vous en sortez bien, fit-elle dans un sourire. Alors, votre ressenti ? Vous êtes content d’avoir su renager dans la mer ?

Surtout qu’il y avait de belles choses à l’intérieur de celle-ci. Petite, elle aimait beaucoup plonger, même en basse profondeur, pour essayer de trouver « le » coquillage enfoui au fond de la mer. Bon, ses trésors s’étaient parfois limités à quelques tourelles et autres coquillages très communs… Mais quand on était enfant, on se satisfaisait de bien peu.

Peut-être devrait-elle voir si elle ne pourrait pas s’accorder du temps pour retrouver ses rêves d’enfant. Quitte à faire une fois de la plongée, juste pour le plaisir. A voir. Il fallait les économies pour s’autoriser une telle escapade, et le temps aussi. Pour le moment, même si Emily n’était pas sur les rotules,  elle n’avait pas vraiment le temps en semaine. Les week-end, heureusement, c’était autre chose.

- La prochaine fois, si vous savez, prenez peut-être un masque. Ainsi, vous pourrez regarder tout ce qu’il y a sur le sable et dans les zones un peu plus profondes. Ca fait longtemps que je ne l’ai pas fait, mais le spectacle en vaut la peine, de ce que je me rappelle.

[HRP : si tu veux que je rajoute autre chose pour te donner plus de quoi répondre, hésite pas !] 

Visiblement, son camarade de l’Institut avait passé quand même un bon moment dans l’eau. Au fond, Emily espérait qu’il avait vaincu une partie de ses craintes. En une fois, il ne saurait pas se défaire entièrement de sa peur, bien entendu, c’était trop tôt et trop rapide. Mais il avait déjà fait un premier pas, et c’était le plus important pour commencer la lutte face à ses propres démons.

Lorsque le sourire du jeune homme s’effaça et qu’il soupira à la place, Emily n’osa pas vraiment prendre la parole. Il semblait tantôt être heureux, tantôt en proie à un souvenir qui l’empêchait de profiter pleinement, mais elle n’y pouvait pas non plus grand-chose, et ce n’était d’ailleurs pas une parfaite inconnue qui allait pouvoir l’aider à ce sujet. Puis, elle se voyait mal lui faire une remarque en disant : « oh, vous semblez triste, quelque chose ne va pas ? ». Cette question pouvait se faire entre amis, peut-être. Mais pas à quelqu’un qu’elle ne connaissait ni d’Eve, ni d’Adam, même s’ils étaient étudiants à l’Institut Parker.

Elle respecta donc son silence et ce fut finalement le jeune homme qui révéla ce qui semblait le poursuivre depuis qu’elle l’avait rencontré sur le bord de la plage. Un accident avec son frère, visiblement, l’avait traumatisé, et en soi, cela pouvait se comprendre. Surtout quand c’était un requin qui attaquait un membre de sa famille alors qu’on était présent. Non seulement l’impuissance se faisait sentir, mais aussi la culpabilité, sans doute, de ne pas avoir su réagir et de sauver son frère à temps.

- Je comprends, fit-elle. Enfin, non, mais je peux en tout cas imaginer un tant soit peu ce que vous avez vécu et comprendre votre peur de l’eau. Ca a dû être horrible, et j’en suis désolée..

Emily s’interrompit. Et que pouvait-elle rajouter d’autre ? Lui dire qu’il n’y avait pas de requins à tous les coins de rues non plus, et que son frère n’aurait pas voulu qu’il arrête de nager après sa mort ? Elle aurait pu, mais la jeune femme ne se voyait pas vraiment dans ce rôle. Le point positif, au moins, est qu’il avait été sauveteur, et qu’il avait un minimum d’expérience avec l’eau. Cela pourrait l’aider pour surmonter son traumatisme, et qui sait ? Peut-être qu’il y retrouverait un certain plaisir et finirait par tourner la page.

Pour l’heure, cependant, ce n’était pas le cas, et Emily ne pouvait pas vraiment l’en blâmer. Elle espérait juste qu’il se tourmenterait moins avec cet accident dont il n’était finalement pas responsable – du moins, elle le supposait -, surtout si cela l’empêchait de se faire des amis sur le long terme.

- Essayez de surmonter votre peur petit à petit, finit-elle simplement par dire, une fois que le jeune homme se fut un peu repris de sa tristesse et de ses souvenirs. Sans trop vous en vouloir, vous n’y pouvez rien. Et même si c’était le cas, il vous faut vivre et pas rester emprisonné par ce passé qui vous étouffe. La vie mérite d’être vécue, toujours.

Hum, elle ne savait parfois pas se taire, elle, mais tant pis. Au moins, il ne pourrait pas lui reprocher de tourner autour du pot.

Emily le laissa se lever pour aller s’asseoir au bord de l’eau. Un instant, elle crut voir comme un changement dans le visage du garçon, mais son impression disparut lorsqu’elle cligna des yeux et refixa le jeune homme dont elle ne connaissait toujours pas le nom. Ca avait dû être elle… La clairvoyante hésita un instant et envisagea de prendre congé, lorsque l’ancien sauveteur se releva et alla vers elle. Lorsqu’il s’assit sur ses genoux, Emily le regarda avec des grands yeux tout en étant un peu éberluée. Seigneur, mais qu’est-ce qu’il faisait ? Elle n’eut cependant ni de bouger, ni de faire une remarque qu’il s’était déjà repris et s’asseyait devant elle.

- Désolé... Si jamais j'avais mes deux yeux....

C’était vraiment un problème de yeux, ça ? Pour le coup, il l’avait vraiment prise au dépourvu, et un silence de quelques secondes s’installa jusqu’à ce qu’elle le brise.

- Ce n’est pas grave, finit-elle par articuler. Mais essayez de ne pas recommencer, c’est… embarassant.

Et le temps qu’elle avait pour répondre en était un peu la preuve. Se relevant, la jeune femme décida au bout d’un moment de faire fi de sa gêne, et reprit la parole.

- Au fait, je m’appelle Emily.

Le laissant répondre, elle décida de faire quelques pas sur le sable sec avant de se retourner et de repartir sur un sujet qu’ils connaissaient tous les deux.

- Vous êtes venus à l’Institut Parker pour quelle raison sinon ? A cause de vos pouvoirs ?

Après tout, il devait être à Jacksonville en partie pour ça.

Louka. Lorsque le jeune homme lui dit son prénom, Emily dut admettre qu’elle n’était pas mécontente savoir mettre un nom sur son camarade à l’Institut. Elle aurait pu continuer sans, bien sûr, mais c’était quand même plus agréable de savoir à qui on parlait que de continuer à voir l’autre comme un inconnu. Et ma foi, même si elle ne connaissait pas le jeune homme vraiment bien, cela serait déjà un avantage s’ils devaient se recroiser à nouveau par la suite.

Lorsque Louka la complimenta pour son nom, Emily lui renvoya un simple « merci » poli avant d’écouter le reste de sa réponse. Qu’il soit là pour mieux apprendre à gérer ses pouvoirs n’était pas vraiment une surprise ; au fond, cela devait être le cas pour beaucoup de mutants dans cette ville. Ceci dit, la jeune femme se demandait s’il ne vivait pas ici depuis plus longtemps qu’elle : sa propre arrivée était récente après tout, et sans doute avait-il plus de repères qu’elle à Jacksonville.

Du reste… Emily ne pouvait pas dire qu’elle maîtrisait parfaitement son pouvoir, loin de là. Quant à un restaurant… C’était aussi une bonne question.

- Mon pouvoir aime se manifester à l’improviste, fit la libraire avec un certain sourire, du coup, je ne peux pas dire que je le maîtrise vraiment. La clairvoyance peut être pratique, mais honnêtement, je le trouve vite plus dérangeante qu’autre chose quand j’ai des visions. Tu as quel type de pouvoirs, toi ?

Une question dite sur un ton posée, mais qui ne forçait à rien. C’était au jeune homme de décider ce qu’il lui révélerait.

- Et sinon, pour les restaurants… Je n’en connais pas parce que je suis très peu venue dans cette zone de la ville. C’est une de mes premières fois. Mais on est près de la côte : il doit sûrement en avoir aux environs de la plage.

Tout était une question de logique touristique après tout. Les commerçants ne se priveraient pas de s’installer là où il y aurait des vacanciers un peu n’importe quand dans l’année.

- Tu veux qu’on aille voir, ou tu préfères rester ici à regarder le coucher de soleil ?

Pour sa part, elle ne savait pas jusque quand elle resterait dans les environs. Rien n’était vraiment prévu, et elle avait du temps libre, donc autant en profiter. Mais une fois le soleil couché, sans doute prendrait-elle la direction de son appartement quand même, sauf si elle décidait de s’acheter quelque chose en chemin, surtout s’ils se dirigeaient dans le quartier plus commerçant de la plage.

Face à sa question, Louka se décida vite. Il lui sembla un instant que le jeune homme aurait bien voulu faire les deux, mais il valait sans doute mieux se mettre en route directement s’ils voulaient manger quelque chose. En tout cas, quand il ferait noir, l’heure serait déjà bien avancée, et s’ils voulaient une restauration rapide, autant ne pas traîner.

Emily acquiesça donc quand l’étudiant prit son sac . Elle l’écouta ensuite parler de son pouvoir, lié à la métamorphose visiblement. C’était la première fois qu’elle en rencontrait un ; sans doute y en avait-il d’autres à l’Institut, mais la jeune femme ne les avait pas encore rencontrés, et certaines questions se bousculèrent un instant dans son esprit. C’était que la libraire était curieuse, d’autant que le guépard était un félin qui avait de nombreuses capacités. Pour sa rapidité, d’une part, mais aussi pour bien d’autres choses : l’odeur, l’ouïe et évidemment la chasse.

- Ca doit être un pouvoir assez spécial à maîtriser, je ne sais pas comment je ferais si j’étais à ta place.

Si son porteur le contrôlait, sans doute que cela devait-ce être bien agréable, pour autant que les gens ne s’affolent pas de voir brusquement un si grand félin en rue. Par contre, si ce pouvoir n’était pas maîtrisé, ça devait bien être flippant quand même. Au début, déjà, quand on découvrait ses capacités de métamorphose, et puis, quand on essayait de faire des progrès et qu’on n’arrivait à rien. On devait bien paniquer quand on se rendait compte qu’on avait une queue dans le dos, ou bien qu’une de nos mains étaient devenue une patte toute griffue… Et c’était encore mieux si on faisait ça avec des gens autour de nous, bien entendu.

- Je crois que je ne serais pas à l’aise, si je ne maîtrisais pas ce pouvoir, reconnut-elle. Après, ça doit être quelque chose d’avoir ton ouïe et ton odorat super développé. Et pour la vue… Je pense que les guépards ont une plus mauvaise vision que la nôtre non ? Tu as déjà su te transformer complètement ? C'était quoi tes premières impressions ?

Emily l’écouta répondre tout en le suivant à l’extérieur de la plage. Il y avait du monde, mais pas au point d’avoir une foule bondée non plus. Un instant, Louka prit de l’avance, et Emily le rattrapa juste au moment où il remettait son portable dans sa poche. D’un œil rapide, elle regarda les divers magasins, tout en avançant dans la rue commerçante.

- Sushi, chinois, sandwich, hotdog… Il y a quelque chose qui te tente ? C’est pas comme s’il manquait de restaurant dans le coin.

Pour sa part, elle opterait sans doute pour un plat à emporter chinois, s’il en avait. Elle adorait le riz sauté au poulet.

Lorsque Louka parla du fait que sa vue n’était déjà pas bonne pour lui sous forme humaine et que cela ne faisait donc pas de grandes différences quand il se transformait en guépard, Emily ne put que lui concéder ce fait. C’était vrai qu’elle n’avait pas envisagé les choses ainsi. Mais d’un autre côté, l’humain voyait les choses en couleur, et elle n’était pas sûre que ce soit le cas pour les félins. Après, elle n’était pas non plus la spécialiste dans ce genre de domaine, donc peut-être se trompait-elle. Mais bon. Elle comprenait que quand on avait un oeil en moins, on avait directement l’impression d’améliorer sa vue quand notre métamorphose nous rendait une vue totale et complète.

Quand le jeune homme lui parla finalement du fait que son pouvoir se manifestait parfois sans prévenir, un mince sourire naquit sur les lèvres de la jeune femme. Elle pouvait comprendre : sa clairvoyance aussi se déclenchait de façon imprévisible. La seule chose, c’est qu’avec un peu de contenance, Emily pouvait cacher qu’elle avait une vision ; dans le cas d’une métamorphose, par contre… C’était tout de suite plus embêtant. Surtout si Louka se transformait alors qu’il y avait des gens « normaux » autour de lui.

- J’espère que tu ne t’es jamais transformé devant plein de monde alors. Ca doit être terriblement gênant mais tu dois surtout te sentir super à l’idée de terroriser les gens…

Elle écouta ensuite sa proposition d’aller dans un restaurant chinois et Emily hocha la tête. Ca lui allait parfaitement.

- Allons-y alors.

Autant se faire un petit plaisir, tout du moins et les deux jeunes gens ne tardèrent pas à trouver un restaurant qui faisaient des plats à emporter. Emily choisit un plat de nouilles au porc, avant de laisser Louka faire son choix. Ils attendirent quelques minutes avant de recevoir leur commande, et l’addition payée, ils ressortirent dans la rue où pas mal de gens continuaient quand même à passer. Emily accueillit avec un certain plaisir la brise du soir, brise marine qui plus est. Pour ce soir, elle aurait bien pris l’air.

- Tu préfères aller voir le coucher de soleil ou continuer à marcher dans les rues ? demanda-t-elle en se tournant vers Louka.

Elle ne savait pas ce qu’il préférait, au fond, alors autant demander.

- Et tu aimes le chinois alors ? Ou tu préfères les hot-dogs, comme tu en parlait tout à l’heure ? le questionna-t-elle avec un sourire.

Emily l’écouta répondre, puis laissa passer une ou deux minutes durant lesquelles elle apprécia son repas. Il faisait chaud, mais c’était toujours agréable de remplir son estomac quand on avait faim. Et puis, ce n’était pas comme si elle mangeait du chinois toujours les jours non plus.

- Au fait, tu habites dans quel coin ? A l’Institut ?

La métamorphose… C’était vrai que ça pouvait être un pouvoir amusant. Surtout quand il s’agissait de tester ses nouvelles aptitudes, totalement inconnues pour un humain normal. Un léger sourire apparut sur les lèvres d’Emily et elle acquiesça quand il lui proposa d’aller voir le coucher de soleil. Autant en profiter, ils n’avaient pas droit à ce spectacle tous les jours.

Emily fronça par contre des sourcils quand il lui parla de sa chambre. Elle pouvait comprendre que le temps soit long quand on était seul à l’Institut – c’était sans doute toujours comme ça, d’ailleurs –, par contre, dire qu’on était une nuisance à cause d’un handicap à l’œil était inacceptable.

]- Non. Tu peux toujours apporter quelque chose à quelqu’un d’autre, cela même si tu as un œil en moins. Il faut être un imbécile pour considérer l’autre comme une merde simplement parce qu'il a des problèmes quelque part, que ce soit à l'oeil ou à une autre partie de ton corps. Ne te prends pas pour quelqu’un d’inférieur pour un accident dont tu n’es pas responsable. Ce serait injuste et tu n’as pas droit à cela.

Du moins, c’était son avis, mais elle n’aurait pas pu ignorer les propos de Louka de toute façon. Et il valait mieux lui dire ce qu’elle pensait : de toute manière, la franchise n’avait jamais tué personne.

Ils arrivèrent finalement aux abords de la plage, et tandis qu’Emily continuait son repas tout en regardant la mer, Louka, pour sa part, fut renversé par quelqu’un, de sorte que son repas lui échappa des mains. Une légère grimace apparut sur son visage quand le breuvage du jeune homme s’écrasa sur son tee-shirt, mais il sembla que c’était plus les propos de l’autre passant qui l’avait blessé. Et elle ne pouvait pas vraiment le lui reprocher, c’était légitime.

Pour autant, Emily n’eut pas vraiment le temps de dire grand-chose puisque son camarade fila vers la plage tout en finissant son repas. D’un pas plus lent, elle fit de même, avant de le rejoindre plus franchement. Parfois, il valait mieux laisser à l’autre un peu d’espace et de solitude pour le laisser accepter certaines choses, comme l’insulte de tout à l’heure. La clairvoyante finit par rejoindre le jeune homme alors qu’il était près d’une chaise des sauveteurs. Il était même monté là-haut : un choix étonnant, mais il n’y avait personne pour lui dire de descendre, de toute façon. Et d’une certaine manière, autant qu’il profite tant qu’il en avait l’occasion.

Par contre, Louka s’était quelque peu transformé : pas complètement, mais on pouvait se rendre compte qu’il avait débuté sa métamorphose. Un instant, Emily se demanda si cela n’était pas désagréable, mais cela s’avérait parfois délicat de poser certaines questions. Aussi elle ne laissa pas son regard trop s’appesantir sur son camarade, se concentra un instant sur la mer, et puis, laissa une question simple, mais vraie, franchir tranquillement ses lèvres.

- Ca va ?

Elle laissa un instant le silence reprendre ses droits, puis le rompit à nouveau.

-  S’il y a besoin de te transformer, ne te retiens pas. Il n’y a personne que nous de toute façon, alors tu ne risques pas d’avoir des regards indiscrets.