Claunech n’avait pas vraiment prévu de passer par cette région déserte de la ville. En fait, sans doute qu’il n’y serait jamais passé si une âme « en détresse » ne lui avait pas fait la demande Après,  le mot « détresse » était peut-être un peu fort. Il s’agissait surtout d’un grand homme d’entreprise qui avait désespérément besoin d’argent pour combler tous les détournements qu’il avait pu faire les années précédentes. Un contrôle fiscal l’avait pris au dépourvu, et il s’était donc trouvé dos au mur face à des supérieurs peu indulgents à son égard. Le démon ne savait comment, mais l’homme avait su trouver un sursis durant lequel « tout s’arrangerait ». Sursis, bien sûr, où il avait fait appel à lui, et où Claunech avait pu admirer avec dégoût toute l’hypocrisie dont l’humain pouvait faire preuve. Il lui serait éternellement reconnaissant, avait-il dit ? Tu parles. Il avait surtout voulu voir l’argent, et n’avait quasi pas fait attention aux conditions de leur pacte une fois que Claunech lui avait montré la somme qu’il désirait.

Bon, en soi, peut-être que le démon l’avait fait exprès. Il est toujours plus difficile de se concentrer sur ce qui nous entoure quand la seule chose qu’on désire est à portée de main.  Et l’homme est un éternel gourmand qui ne fait pas attention où il marche, même quand il est au bord du précipice.

Il en avait été de même pour cet homme. Sans doute sûr qu’il ne le reverrait jamais, il avait quasiment dit oui à tout. Sauf que Claunech parlait rarement pour ne rien dire. Et il avait bien dit que cet argent était prêté, pas qu’il était donné.

Mais l’homme avait dit oui, tout guilleret, et certainement sûr qu’il n’aurait jamais plus affaire au démon, protégé par son entreprise et ses comptes qui seraient « ordre ». A cela, Claunech n’avait rien dit. Qu’il croie donc qu’il était hors d’état de nuire, l’heure arriverait bien vite où cet homme déchanterait et perdrait tout. Aussi bien sa place que son argent et son âme.

Il n’en restait pas moins que son « client » n’avait pas perdu le nord lorsqu’il avait pris contact avec le démon. Car des conditions pour se voir, il en avait. Surtout celle de ne pas se faire voir par quiconque. C’était d’ailleurs assez typique des humains, cette envie de se cacher alors qu’ils faisaient quelque chose de mal. Comme si, n’étant vu par personne, cela effacerait leurs fautes et leurs péchés. Malheureusement pour eux, les démons oubliaient rarement. Dieu aussi, d’ailleurs. Mais du coup, Claunech se retrouvait dans un endroit où il n’y avait aucune âme qui vive. Sans doute qu’il aurait pu se téléporter pour se retrouver directement chez lui, ou du moins dans la demeure de son vaisseau. Mais le démon avait voulu marcher un peu. Pour penser à autre chose que ces humains totalement esclaves de l’argent, déjà. Et puis, autant voir s’il n’y avait pas quelque chose d’intéressant dans cette partie de la ville.

Cette chose intéressante ne tarda pas à apparaître au détour d’hangars inutilisés. En tout cas, tout y était à l’arrêt, soit parce qu’on était en week-end, soit parce qu’ils ne servaient plus. S’il y avait bien une chose dont Claunech était sûr, ceci dit, c’était qu’il avait là un spectacle… eh bien relativement amusant.

Le démon aurait sans doute juste  continué sa route s’il avait simplement vu la jeune femme : il n’en avait rien à foutre, qu’elle soit toute seule dans un lieu désert, et c’était d’ailleurs loin d’être ses oignons. Sauf qu’elle avait disparu sous ses yeux. En tant qu’humain, il aurait probablement cru avoir halluciné ; en tant que démon, par contre, cela attisa sa curiosité.

Dans un premier temps, il pensa avoir affaire à un démon : c’était bien un pouvoir récurrent, chez leur espèce, et il n’aurait pas été étonnant d’en croiser dans ces lieux abandonnés. Lorsque l’inconnue apparut cependant quelques mètres plus loin seulement, et que celle-ci bougonna en retournant à un lieu précis de la cour où ils étaient, il comprit qu’elle devait probablement s’entrainer lorsqu’elle disparut à nouveau pour réapparaître là où elle était un peu plus tôt. Son pressentiment se confirma rapidement lorsqu’elle recommença l’opération plusieurs fois, faisant parfois des pauses pour ne pas s’épuiser trop vite, visiblement.

Pendant quelques minutes, Claunech ne se manifesta pas. Assis de manière un peu nonchalante sur une pile de caisses, il était à un endroit où la mutante (il supposait qu’elle en était une en tout cas) ne pouvait le voir. Par contre, lui avait accès à tout et il constata ses efforts fructueux ou infructueux de la jeune femme. Celle-ci semblait avoir la meilleure volonté du monde, mais peut-être se précipitait-elle un peu pour utiliser son pouvoir. Ou peut-être était-elle trop entêtée aussi et se fixait trop sur les moments où elle n’arrivait pas à atteindre ses objectifs.

Dans tous les cas, Claunech prit le temps de déguster la pomme qu’il avait pris avec soi avant de d’intervenir. Autant se mêler un peu au spectacle maintenant qu’il avait vu ce dont la jeune fille pouvait faire. Il attendit patiemment que la jeune femme réessaie de se téléporter à nouveau avant de prendre la parole avec un sourire.

- Tu sais, ce n’est pas en te concentrant pendant dix minutes que tu téléporteras là où tu veux. Ta téléportation doit être plus fluide : toi, tu te cripses toute seule à la seule pensée d’utiliser ton pouvoir.Et cela t'épuise plus qu'autre chose.

Claunech la laissa réagir – ce n’était pas comme s’il était censé assister à son entrainement – et lui laissa aussi le temps de le chercher en haut de sa pile de caisses. Bon, en soi, celle-ci n’était pas énorme, mais suffisante pour donner un peu de hauteur sur la cour et le hangar.

Lorsqu’elle posa enfin son regard sur lui, le démon reprit la parole, un sourire toujours suffisant sur les lèvres.

- Tu dois être plus détendue pour changer d’endroit. Comme ça.

Un clin d’œil et il réapparut de l’autre côté de la cour, toujours assis de manière un peu détendue sur une autre pile de caisses, mais en bois, cette fois.

- Simple, non ?

Visiblement, il avait pris la demoiselle par surprise. Mais elle avait été rapide pour réagir et le trouver, c’était déjà ça. D’une certaine manière,  Claunech apprécia qu’elle lui tienne tête avec une certaine frustration dans les yeux. C’était toujours plus intéressant que quelqu’un de timide, qui ne savait pas quoi dire face à l’arrivée d’un inconnu. Par contre… Il l’avait vexée, apparemment. Et pas qu’un peu. Le démon n’allait pas en chercher la raison - ou elle avait eu une mauvaise journée, ou elle était simplement de mauvais poil, ce n’était pas son problème. En revanche, si la jeune femme était susceptible, il allait quand même en profiter… Un peu beaucoup.

Toujours avec un sourire sur les lèvres, Claunech l’écouta lui demander son identité, lui  qui était visiblement « un donneur de leçon » de premier ordre.

- D’ailleurs,, continua la demoiselle, je prends les devants, je suis Lilou, enchantée… Je suppose.

- Enchanté, répondit le bookmaker sans aucune hésitation et sur un ton qui se voulait tout à fait jovial. Je m'appelle Liam.

Il aurait pu lui dire son vrai nom, mais pour l’heure, il préférait prendre celui de son vaisseau. Il pourrait toujours changer d’avis, de toute façon.

Quoi qu’il en soit, il semblait avoir touché une corde sensible en intervenant dans son entrainement solo. Parce que la jeune femme ne semblait pas en avoir fini – et elle ne semblait pas décidée à le laisser partir avant qu’il entende tout ce qu’elle avait à dire.  

- Alors ? Vous êtes un mutant, un sorcier ou je dois partir très loin en découvrant que vous êtes un démon ? Ou vous êtes de l’institut, ou encore juste un gars étrange qui s’amuse uniquement à se promener dans des endroits peu fréquentés et donner des leçons aux gens que vous croisez ?

Décidément, cette petite l’amusait beaucoup. Encore que, s’il l’avait appelée ainsi, la jeune femme aurait sans doute voulu le réduire en cendres. C’était dommage pour elle, mais les choses ne seraient pas si faciles.

Quoi qu’il en soit, il pouvait répondre de multiples manières à ses questions. Tout comme il pouvait prendre chacune des facettes que la mutante – il était désormais sûr que c’en était une - avait citées : avec plus de mille ans d’existence, ce ne serait pas difficile. Le tout était de voir ce qui serait le plus intéressant à répondre.  

Si Claunech disait qu’il était un démon, il y avait le risque que la gamine ait peur, même si ce n’aurait pas été étonnant qu’elle la cache en l’insultant de tous les noms. A l’heure actuelle, cependant, Liam n’avait pas envie de se faire craindre. L’insolence de la jeune femme l’amusait, et il aurait été dommage d’y mettre fin si vite. Prendre la casquette d’un sorcier alors ? Il n’en avait pas envie. Restait donc l’idée de se faire passer un humain, sachant qu’elle avait parlé d’un institut. Il ne fallut pas longtemps au trésorier de l’Enfer pour rejoindre les deux bouts. Si elle était une mutante  et qu’elle était à Jacksonville, probablement qu’elle était à ce fameux Institut Parker, où les démons ne savaient pas entrer.

Bien, bien, bien. Une idée avait germé dans son esprit, qui pouvait être intéressante à exploiter vu la situation dans laquelle il se trouvait. Mais le démon n’eut pas vraiment le temps de répondre : la brunette repartait déjà de plus belle et un sourire réapparut sur son visage lorsqu’elle lui demanda si elle devait lui lancer une chaussure à son visage. Tant d’impolitesse, voyons. Puis, il ne l’avait pas observé si longtemps que ça. Disons, un quart d’heure, vingt minutes. Max trente, si on comptait qu’il avait bien pris son temps.

C’était ce qu’il s’apprêtait à répondre, lorsqu’elle reparla. Encore. Décidément, elle voulait savoir beaucoup de choses. Sur ses pouvoirs, cette fois. Mais ça,  il allait en taire quelques-uns, sinon, son mensonge ne marcherait pas.

Claunech attendit cette fois quelques secondes pour être sûr que son interlocutrice en avait bien fini. Il s’avéra vite que c’était le cas, et le bookmaker commença donc  à répondre depuis le début. Son identité, d’abord. Il ne résista cependant pas à la tentation de la voir se décomposer un peu.

- Je suis un démon, bien sûr. Tu sais, il y en a à chaque coin de rue.

Avec le sourire qui était sur son visage, il était quasiment certain que la brunette allait monter sur ses grands chevaux. Mais il l’interrompit avant même qu’elle ne puisse prendre la parole, sur un ton un peu plus sérieux. Les blagues les plus courtes – même si ce n’en était pas vraiment une – étaient les meilleures.

- Je plaisante, bien sûr. Détends-toi un peu, ce n’est pas comme s’il y en avait autant sur Terre que là où ils doivent être.

Enfin, cela, ça dépendait des moments, mais il n’allait pas vraiment le lui dire. Si Claunech ne déclinait pas son identité, de toute façon, la jeune femme risquait de tourner les talons ou de vouloir le massacrer. Dans un cas comme dans l’autre, ce ne serait pas marrant.

- Je cherche l’Institut Parker, finit-il par dire d’un ton tranquille et plus posé. Le directeur m’y a invité pour que je devienne professeur et que je fasse part de mon expérience. Mais il semble que je n’aie pas beaucoup le sens de l’orientation et qu’on m’a mal guidé en ville, fit-il en se passant une main dans les cheveux. Bref, je me suis paumé ici et il semble que je vais devoir reprendre mes recherches demain. Tant pis.

Tu parles. Comme s’il en avait quelque chose à foutre. Mais comme la dénommée Lilou était vraisemblablement une détentrice de pouvoir, il était fort probable qu’elle y soit elle aussi. Lancer cet hameçon avait donc été trop tentant. Puis, être professeur, cela le donnait bien, non ?

- Pour ce qui est de mes pouvoirs, continua-t-il, j’ai la téléportation, comme tu as pu le voir, et l’aérokinésie. Quant à mes talents, et un léger sourire apparut sur son visage, je dois sans doute en avoir, mais on peut toujours s’améliorer. D’ailleurs, c’est pour ça que je suis intervenu. Je ne croyais pas que tu prendrais si mal le fait que je voulais t’aider.

Le pire, c’est que c’était vrai  et son ton honnête le prouvait. Claunech n’avait pas imaginé une réaction si « virulente » de la part de la jeune femme. Même s’il était un démon, son intention était bonne, à la base. Et cette pensée lui donna le moyen d’aborder la seconde « partie » de son identité.

- Je t’observais depuis vingt minutes,, finit-il par répondre, peut-être trente. Mais, et il sauta de sa caisse pour se mettre debout, les mains dans les poches, je m’excuse si j’ai pu te vexer en intervenant. La prochaine fois, je ne le ferai plus… On fait la paix, d’accord ?

Tss, s’excuser, franchement. Certains démons auraient recrachés ce qu’ils étaient en train d’avaler s’il l’avait entendu. Mais le jeu en valait la chandelle et Claunech attendit une éventuelle réaction de la jeune femme avant de poursuivre.

- C’est juste qu’en tant que futur "professeur", il me semblait plus juste de te prévenir. Quand tu en auras besoin, qu’il s’agisse de combattre ou de fuir, ne pense pas, agis. Ta téléportation viendra toute seul tant que tu imagines un temps soit peu ta destination et que tu te laisses guider par ton instinct.

Un dernier sourire. Un dernier appât où il lançait un hameçon.

- A plus.

Et il fit mine de se diriger tranquillement vers la rue qui donnait sur les hangars. Il avait bien une autre idée derrière la tête, un joli mensonge qu'il avait vraiment envie de lancer, mais il l'exploiterait plus tard, si l'occasion se présentait. Il allait d'abord voir comment cette dénommée Lilou allait réagir, et puis, il trouverait bien comment s'amuser un peu avant de retourner chez lui.

[Je suis désoléeeeeeeee, que ce soit avec toi ou avec Luci, il semble que je sois trop inspirée XD J’espère que ça te va, en tout cas, je peux changer des trucs si nécessaire ^^]

Si la jeune fille n’avait pas semblé de bonne humeur suite à son intervention, au moins écoutait-elle. Claunech n’était pas sûr qu’elle se tairait longtemps, d’autant qu’elle semblait avoir du caractère : il était limite prêt à parier qu’elle lui dirait cash tout ce qu’elle pensait sans une once d’hésitation. Par contre, même si Lilou ne disait rien, ses expressions valaient tout dire, qu’il s’agisse de sa réaction à la « blague » qu’il avait dite, ou encore à sa prétendue errance jusqu’à ces hangars perdus au milieu de nulle part.

Mais Claunech ne releva. Elle pouvait rire si l’envie lui en disait : de toute façon, ce n’était pas comme s’il y accordait beaucoup d’importance. Plus intéressantes étaient ses capacités et ce dont elle était prête à faire pour atteindre ses objectifs. Il attendit quand même qu’elle reprenne la parole tandis qu’elle acceptait visiblement ses excuses. Elle avait du caractère, mais ne semblait pas non plus stupide à se croire la meilleure tout en haut d’un piédestal. Une bonne chose, ou le démon aurait sans doute pris plaisir à l’y descendre sans trop de douceur, en appuyant bien là où cela faisait mal.

La hache de guerre enterrée, il ne fallut pas longtemps pour que la mutante le rattrape et lui propose un marché. Un deal où au fond, il n’avait pas grand-chose à y gagner, mais qui aurait peut-être le mérite de ne pas lui faire passer un après-midi long et ennuyant. Lilou lui parlait même d’un autre jour pour se voir s’il le désirait : c’était qu’elle était vachement motivée pour s’améliorer visiblement.

- Je crains qu’un autre jour, je ne sois pas disponible, fit-il simplement, mais je suppose que je peux arriver à l’Institut dans une heure ou deux.

Surtout qu’il n’y entrerait jamais, sauf si la barrière qui protégeait l’établissement était brisée. Là, peut-être que Lucifer et d’autres démons s’amuserait à y faire un tour, mais Claunech doutait que cela arrive avant quelques temps quand même. Le directeur avait dû savoir ce qu’il faisait en lançant son entreprise, et ç’aurait été risible si les protections mises en place se brisaient si facilement.    

Claunech sortit de sa réflexion lorsque Lilou recommença à lui poser des questions. Un sourire amusé germa sur ses lèvres lorsqu’elle lui demanda s’il savait voler avec son aérokinésie. C’était quand même le minimum des choses, mais il était vrai que pour bon nombre d’humains, se déplacer dans les airs avait toujours quelque chose de fascinant. Peut-être que cela l’était plus chez les enfants que chez les adultes – eux, au moins, n’avaient pas peur de leurs rêves et restaient toujours dans leur innocence -  mais même chez l’humain en général, le ciel avait été l’objet des rêves les plus fous. Comme la mer avec ses secrets engloutis et ses territoires inconnus, d’ailleurs. L’homme était un éternel gourmand qu’il était difficile de satisfaire.

Lilou, par contre, lui faisait presque penser à une enfant qui était sur le point de grandir mais qui restait encore dans une innocence quelque peu protectrice.

- Je peux voler, oui, et bien d’autres choses encore. Pourquoi, tu voudrais essayer ?

Il n’était pas vraiment sûr de lui faire cette faveur. Ce serait un effort qui ne lui demanderait rien, mais ce n’était pas comme s’il était là pour assouvir non plus tous les désirs de la jeune fille, peu importe la bonne volonté dont elle faisait preuve. A voir comment elle se comporterait. Puis, s’il la faisait voler, son voyage risquait de ne pas être non plus une simple balade de santé...  

- Il faut voir si tu le mérites, jeune fille. Tu essayais de parvenir d’une croix à un autre, si je ne m’abuse ? Il n’y a que ces deux-là au sol ?

Si la réponse était oui, Claunech changerait sans doute radicalement la difficulté de l’exercice. Il n’était pas là pour regarder Lilou se matérialiser d’un point à un autre sur une simple ligne droite. Si c’était non, par contre, et qu’elle avait par exemple décider de se matérialiser en hauteur, il pourrait toujours voir ce que cela donnait dans un premier temps.

Ou pas. Il allait plutôt la mettre à l’épreuve directement, mais après s’être un peu renseigné avant.

- Tu as déjà pratiqué des téléportations en hauteur ? En bougeant ? Ou tu as toujours été statique comme un piquet, en essayant simplement d’aller d’un point à l’autre ?

Parce que si c’était le cas, elle avait clairement des progrès à faire pour s’en sortir dans la vie réelle.

- Et ton pouvoir te répond vite, ou c’est toi qui te bloque avec la peur ou des pensées parasites ?

Il pouvait y en avoir beaucoup. La frustration, notamment, qui bloquait plus qu’autre chose. Après, celle-ci pouvait aussi être utile pour déclenche ses propres pouvoirs. Tout dépendait de la personne, finalement.

Tout en écoutant ses réponses, Claunech avisa une poutre à quelques mètres du sol. C’était toujours moins pire qu’un toit ou que savait-il encore, mais ça pouvait toujours être un bon premier test pour commencer. Un sourire aux lèvres, le bookmaker prit tranquillement la parole tout en saisissant le poignet de la jeune fille.

- Si je te matérialise là…

Le démon les téléporta sur la grosse barre métallique qui les amenait quand même assez en hauteur.

- Tu sais te débrouiller pour aller au pilier en face ? Je réponds à tes autres questions en récompense.

En soi, il n’y avait pas beaucoup d’espace pour prendre des appuis et être à son aise. Claunech le savait et d’ailleurs, il l’avait un peu fait exprès sur les bords. La jeune fille n’aurait pas vraiment le temps de réfléchir : soit elle tombait donc comme une masse, soit elle se forçait à utiliser son pouvoir.

Ceci dit, le trésorier de l’Enfer éluda le fait qu’il pourrait la rattraper à son aise. Ca n’aurait pas été vraiment du jeu et il voulait voir comment s’en sortait la mutante dans une situation un peu plus « délicate ». C’était un bien grand mot vu les endroits où il pourrait l’amener, mais il fallait bien commencer quelque part et Claunech s’adossa à la poutre verticale qui était juste derrière eux. L’objectif de Lilou se trouvait à quelques mètres de là, mais elle n’était plus solidement campée comme elle l’était un peu plus tôt lorsqu’il l’avait vue s’entrainer. Désormais, la jeune fille ne tenait plus que par son équilibre, et il était un peu temps pour elle de réagir.

- Si tu veux descendre, tu le dis. Mais je doute que tu sois un jour vraiment efficace en situation réelle si tu t’arrêtes ici.

Claunech ponctua sa phrase d’un sourire tranquille et croisa les bras tout en observant la jeune fille. C’était à elle de jouer, désormais, et il était bien curieux de savoir jusqu’où iraient ses capacités.

 Lilou lui fit remarquer sèchement qu’elle n’utilisait pas son pouvoir qu’en étant simplement immobile. Visiblement, elle s’entrainait aussi en se déplaçant, mais la téléportation en hauteur lui posait aussi des difficultés. En fait, tout se résumait à un problème de destination. C’était déjà un détail peu plus compliqué à régler, d’autant que la téléportation n’avait jamais vraiment posé de soucis à Claunech. Au contraire. En fait, c’était assez drôle de voir les soucis d’une mutante pour un pouvoir qui était si naturel chez les démons.

Elle réussit néanmoins à se téléporter au pilier en face. Elle n’était pas stable, mais c’était quand même réussi. Peut-être avait-elle plus réagi à l’instinct, par contre. C’était quand même une poutre, et il l’avait clairement lâchée, avant qu’elle ne se déplace de l’autre côté de la barre en métal. Mais Lilou n’attendit pas qu’il fasse le moindre commentaire : elle le traita plutôt de barge avant de disparaître sans prévenir. Elle ne vit ainsi pas le sourire amusé de Claunech. Si elle le traitait de barge pour l’avoir entrainée sur une simple poutre, alors qu’est-ce qu’elle allait dire s’il devenait un peu sérieux et l’emmenait dans une situation bien plus compliquée ? Sur une poutre, on ne risquait pas vraiment sa vie. Ailleurs, par contre, ça pouvait tout autre chose.

Mais Claunech stoppa là ses réflexions et se téléporta sur le toit de l’immeuble. C’était là que la jeune femme s’était téléportée, et il apparut à peine qu’elle l’assaillit de nouveau de ses questions… Qu’il avait déjà oubliées, au fond, alors ce n’était pas plus mal si Lilou les lui rappelait. Il fallait juste qu’il trouve des réponses assez convaincantes, surtout pour le directeur, en fait.

Même si au fond, il n’avait qu’à dire la vérité pour certaines choses.

– Il m’a effectivement demandé d’enseigner la téléportation et d’assurer des cours de défense.

Un rajout de son cru, dont il n’avait strictement rien à faire, mais quitte à s’inventer un poste, autant rajouter de détails par-ci par là.  

- Par contre, je n’ai jamais rencontré le directeur. Il m’a juste envoyé une lettre pour me demander si je pouvais pouvoir à ce poste… J’espère que ça ne te dérange pas ?

Claunech ne cachait pas vraiment son amusement : l’étudiante avait du caractère après tout, et il se demandait si tout ce qu’il lui disait n’allait pas la décevoir. Toutes les informations qu’il lui disait étaient fausses bien sûr, ou quasiment. C’était vrai qu’il n’avait jamais rencontré le chef de l’Institut. Pour le reste, par contre… Il s’agissait plus de mensonges. Mais ça, la jeune femme n’était pas prête de le savoir. Pas aujourd’hui en tout cas.

Un sourire plus franc se marqua sur son visage quand elle lui parla enfin de ses exercices déjantés.

- Parce que tu crois vraiment qu’une poutre est un exercice si déjanté que ça ? Au maximum, avec le matériel adéquat, il y aurait un eu matelas au sol. Et avec mes pouvoirs, tu ne risquais pas grand-chose.

Claunech ne mentait pas, même s’il aurait peut-être attendu la dernière seconde avant d’intervenir.

- Et dans la vie réelle, rajouta-t-il, tu devras peut-être utiliser tes pouvoirs dans des situations bien plus périlleuses où tu n’auras pas le temps de réfléchir. Alors, ça, dangereux, alors que tu es surveillée ? Ca l’est beaucoup moins que de rencontrer un démon, un sorcier, ou même un autre mutant qui a perdu le contrôle de ses pouvoirs.

Lilou allait sans doute le détester pour ses paroles, mais ce n’était pas grave.

Ca, c’est ce que j’appelle déjanté.

Et Claunech les téléporta à l’autre bout de la ville. Une bourrasque de vent les accueillit à leur arrivée, sans pour autant déstabiliser l’équilibre du démon. Il tenait fermement la jeune fille le temps qu’elle réalise où ils étaient, et la laissa blêmir, pâlir, ou toutes les choses de ce genre si elle le voulait.

Il fallait dire que peu de monde était déjà monté tout au sommet d’une grue. A l’arrêt, bien sûr, et il n’y avait personne pour les voir, mais quand même. Rares étaient les personnes à voir un tel panorama devant eux, sans aucune réelle protection et si haut dans le ciel.

C’était justement pour cela que Claunech avait choisi cet endroit.

- Tu vois, reprit-il presque joyeusement, je trouve que c’est un exercice bien plus intéressant qu’une poutre à quelques mètres du sol. D’ailleurs, si tu veux te téléporter jusqu’au bout, je t’en prie. Je regarderai tout attentivement d’ici.

Bon, il se moquait un peu d’elle. C’était clair que s’il avait été réellement professeur, il n’aurait pas emmené ses élèves là. C’était trop loin, trop haut, trop instable. Peut-être que cela aurait été plus valable pour des aérokinésistes, en fait. Mais bon.

D’ailleurs, en parlant d’aérokinésie. Ce n’était pas elle qui voulait voler ?

Un instant, Claunech attendit sa réaction, voire ses éventuelles injures, puis, passa à ce sujet qui semblait intéresser la jeune femme. De toute façon, les blagues les plus courtes étaient les meilleures, et même si déstabiliser la jeune femme en l’amenant ici était assez amusant, ils avaient tout l’espace nécessaire pour utiliser son autre pouvoir, maintenant.  

- Bien, stoppons la téléportation pour aujourd’hui.

Son ton était devenu un peu plus sérieux, même si toute trace d’humour n’avait pas encore disparu de son visage. Il lui désigna le vide devant eux d’un geste de la main et un sourire apparut sur son visage.

- Tu veux voler ?

Peut-être avait-il trop provoqué la jeune fille. Ou peut-être l’avait-il fait exprès aussi, juste pour voir ses limites. Il semblait qu’elle n’avait pas apprécié sa téléportation en haut d’une grue, même si Claunech avait fait en sorte que ni lui, ni elle ne soient déstabilisés par le vent qui soufflait fort à cette hauteur. Il avait quand même été très sérieux lorsqu’il lui avait proposé de voler, le tout était qu’il ne le lui avait pas proposé de manière fort commune…

Chose qui ne sembla vraiment pas plaire à l’étudiante. A juste titre, sans doute, même si elle pouvait profiter de son pouvoir pour s’échapper de là. Si elle n’avait pas eu ce don, les choses auraient sans doute été différentes. Du moins, la jeune fille aurait sans doute blêmi et l’aurait traité de tous les noms d’oiseaux qu’elle avait dans son stock mais elle n’aurait pas pu s’enfuir.

Ici, elle le pouvait, et le « non » qui fusa aurait pu suffire pour deviner tout ce que Lilou pensait du démon. Elle crut néanmoins bon de dire le fond de sa pensée avant de disparaître, et Claunech ne chercha pas à la retenir. Au moins, elle l’avait distrait un peu, et peut-être la reverrait-il un jour de toute façon. Clairement pas à l’Institut, comme elle devait le penser, mais Jacksonville était remplie de surprise, alors retomber sur elle un de ces jours ne serait pas si étonnant…

Et si c’était le cas, il s’amuserait sans doute à la titiller un peu de nouveau. Juste pour le plaisir. Même s’il serait curieux aussi de voir ses nouvelles capacités, et la manière dont la jeune fille allait évoluer. Elle serait sans doute prometteuse, pour autant qu’elle y mette du sien. Et qu’elle apprenne à se taire. Enfin, la franchise ne pouvait jamais non plus faire trop de tort, mais parfois tourner la langue dans sa poche était tout aussi bien.

Claunech verrait bien son évolution. Et au pire, la jeune fille apprendrait bien à ses dépens.