Il y a tout ce que je vois dehors, et dont je ne fais pas partie. Un mouvement qui va à ma rencontre, tandis que je vais à son encontre. Je fuis cette masse, qui écrase les idées plus colorées que les leurs. J'erre, on ne sait pourquoi. J'essaye d'être là, puisque je ne sais partir. Alors j'imagine, je joue, je fuis de cette manière. Je reste assise à contempler mon reflet comme si j'existais encore, ou que j'allais me réveiller. C'était un jour comme celui-ci.

Il y avait ce parc dont j'avais trouvé un endroit plus calme que les autres, loin des agitassions auditives dont je n'arrive pas à passer au dessus. Ma peau directement sur l'herbe, et mon imagination. Une fois qu'on la laissait colorer le monde, on pouvait voir autour de moi quelques peluches, une basse table et de la vaisselle raffinée en porcelaine. Nous aurions été sur une grande serviette rose pâle, et le lieu aurait été plus fleuri. Ce n'était physiquement pas présent, mais je le percevais ainsi, alors cette réalité existait. Je m'y complaisais, parce que ma tranquillité était possible. La plupart du temps, celle des autres altérait la mienne, je me noyais dans ma désillusion. On ne me laissait jamais en paix, sans même avoir besoin d'une phrase, d'un mot, ou d'un regard. La simple présence parasitaire de ces gens, leur unique expression qui se collait au visage de chacun, me faisait perdre de mon univers.

Je me sentais seule, mon corps devenait plus léger. Avec les jours, les individus me voyaient moins, je crois que j'extirpais des avantages dans ce fait de disparaître petit à petit, autant que je craignais ce moment. Je suis désolée grand sorcier qui m'avait tant donner, partageons ensemble ce qui sera peut-être le dernier thé ?

Ils étaient là, autour de la table, et je leur servais à chacun de cette boisson chaude dont je ne me lassais pas. Je crois que mes sourires étaient plus vrais avec eux, dans le fond, puisqu'ils étaient sortis de mon imagination, je n'avais qu'à les voir avec la même perfection que l'on m'avait donnée. Et c'est ainsi que nous étions tous loger dans ma bulle divertissante et réconfortante. Que l'on partageait des expressions variées, et sincères, que l'on buvait un thé fictif dont pourtant je sentais, sûrement par souvenir, les arômes. Peut-être que les oiseaux eux-mêmes que j'entendais n'étaient pas réellement là. Mais à ce moment présent, les limites entre ce qui le demeurait, et ne le demeurait pas, n'avaient d'importance, ni de présence.

Ô ma solitude, tu m'offres bien plus que du calme mais bien le moyen de m'échapper quelques fois, doucement. Et une fois que l'on s'accepte, que l'on se rend et que progressivement tout s'en va, c'est bien toi que nous rejoignons. Je ne me suis rarement sentie plus accompagnée que dans des bras.

Il y avait un temps gris, je m'en souvenais, pourtant lorsque je regardais autour de moi, tout était clair, chaud, caressé de petits rayons de soleil. Le temps était jaune, orange, vert, de couleurs vives ou délicates. Pas une trace de gris, les ombres n'étaient pas noires.

Ma bulle imaginaire était construite.

Le goûter commençait tranquillement, Porco Rosso, un cochon aviateur, évoquait ses prochains plans pour la suite, tandis que les kodamas, invités aussi, hochaient la tête comme ils aimaient le faire. Je servais une peluche qui venait à peine de se mettre la table, lui faisant remarquer son retard, c'était mal polie, mais je le lui pardonna, après tout il avait une bonne excuse : embouteillage sur la route. Je suis sûre que s'il en avait eu les moyens, il aurait été le premier assis. Nous étions donc un petit groupe fort sympathique, positionné cercle. Je les servais tous, pour l'occasion, Porco avait fait quelques gâteaux aux citrons, c'était fort aimable de sa part, ils étaient de mes odeurs favorites !

Oh il y a quelqu'un. Souffla ma peluche, je tourna ma tête en direction de l'inconnue qui commença déjà à parler. Elle sembla vouloir se joindre à nous. Elle existait, je le voyais bien, pourtant sa réalité ne détruisait pas la mienne. C'est donc avec un grand sourire que je la laissa entrer dans ma bulle de bonheur. Elle avait l'air si adorable ! Je l'appréciais déjà.



Elle se décala légèrement pour faire place à la nouvelle.

L'invitée venait de s'asseoir auprès de nous, ma bulle imaginaire se referma derrière elle. Nous pouvions tous ensemble reprendre là où nous en étions. Quoique cette femme n'avait rien stoppé du tout, puisque sa présence n'abîmait en rien mon petit monde.
Tout le monde lui souhaita la bienvenue, et Porco Rosso semblait vraiment ravie lorsqu'elle posa des bonbons devant eux -moi aussi d'ailleurs-, il lui servit sa tasse que je lui donna par la suite, l'accompagnant d'un sourire.

Je bus un peu, avant de me retrouver un peu gênée lorsqu'elle se présenta, puisque j'avais moi-même oublié de le faire.



Je bus encore quelques gorgés silencieusement avant de reprendre.



Je n'avais pas encore rencontré beaucoup de races, si ce n'était les humains, que j'appréciais énormément. Ils avaient en eux une certaine naïveté, impuissance, ignorance, ils étaient si fragiles, et ils vieillissaient rapidement. Mais je ne connaissais qu'eux en dehors de mon sorcier, ce-dernier m'avait expliqué qu'il en existait bien d'autres encore. Curieuse, j'avais hâte d'en apercevoir, et j'espérais que cette Judith n'appartenait à aucun groupe que je ne connaissais déjà.

Je ne fus pas étonnée que Judith n'est pas rencontré de poupée "aussi humaine" comme elle le disait. Après tout, j'étais unique, ou alors rare, mais qui d'autre que mon sorcier aimait tant que ça les jouets au point de les rendre vivant ? Je savais bien que mon enveloppe ne se trouvait pas partout, et si j'en croyais les paroles de mon créateur, avant même que je ne meurs j'avais déjà un tel physique, il s'était contenté de réparer mes blessures, et quelques autres détails, ce qui me rendait en un sens encore plus exceptionnelle alors.
Je crus un instant que mon invitée n'avait pas tout compris de mon identité lorsqu'elle m'appela "pas", j'avais pourtant mis la négation avant... Il me fallut quelques secondes pour comprendre que ce n'était qu'une blague, ah l'humour ! Toujours si imprévisible. J'aimais bien le fait qu'elle en soit dotée. Et je ne fus que plus heureuse de ce qu'elle demeurait lorsqu'elle annonça être une démone. C'était un honneur pour moi, je n'en avais jamais rencontré avant ! Que de fierté en cet instant de pouvoir en voir une.
Puisqu'elle souhaitait être appelé par un autre nom que celui d'origine, je ne la questionna pas sur ce-dernier respectant cette identité qu'elle se donnait. Je suppose qu'elle devait accorder moins d'importance à ça que moi, moi qui aimait tant m'appeler, et qui me satisferait du plus laid des prénoms.



Assez parler de ça, j'essayais vraiment de cacher ma joie d'avoir un démon près de moi, en gardant un air d'haute aristocratie, mais je mourrais d'envie de faire jaillir cette puce pleine d'énergie de moi et de lui poser une tonne de question. Cela dit, je ne pouvais pas, ce n'était pas des manières, je choquerais mes invités. Alors, je m'y pris plus délicatement.

Je n'étais pas totalement sûre d'aimer découvrir le monde. En un sens, tout me plaisait un peu, dans chaque chose, ou chaque personne, je pouvais déceler une part d'intérêt et de bien. Mais je m'ennuyais également, parce que les autres justement, ces autres que moi je voulais aimer, n'avaient pas l'air à leur tour de me le rendre. Ce n'était pas tant ce que je demandais, je ne faisais rien de façon à ce qu'on me le rende, mais il est vrai que j'aimerais être appréciée. Et puis il y avait cette rousse, qui je crois, n'avais rien contre moi, et peut-être même un peu de gentillesse. Je ne savais pas trop, je l'espérais surtout.
Autre chose, et non des moindres, le fait que je sois là faisait que je n'étais pas avec lui, puisqu'il m'avait quitté. Et j'aurais de très loin préféré être à ses côté, en sécurité, plutôt qu'ici. Aussi, je fis un petit sourire, plissant très légèrement les extrémités de mes lèvres, et haussant les épaules.



Je termina rapidement tout le contenu de ma tasse, bien qu'elle n'en possédait aucun et que j'aurais pu en imaginer davantage. Mais il fallait rester réaliste. Ma camarade me peignait le portraits de ses confrères, qui n'avaient de toute évidence pas beaucoup de son respect. Les pauvres, j'aurais voulu tous les rencontrer pour me faire mon propre avis, faute de mieux, je l'avais elle, et c'était déjà un grand honneur.
« Parmi vous », non, parmi eux. Moi, je n'étais pas d'ici, et je ne voulais pas être confondue avec un.e humain.e. Même s'il est admettait que j'avais l'air comme eux. Et elles. De ce fait, je préférais le lui faire remarquer, de plus, elle pourrait offenser mes ami.e.s présent.e.s à table.



Elle semblait bien curieuse de me connaître, je me sentais disséquer, mais j'adorais avoir son attention, et mes compagnons également.

Ce n'était pas vraiment une insulte, pour moi, que de recevoir l'étiquette d'humain. Le problème étant juste que je trouvais ça on ne peut plus faux. J'en avais certes l'apparence, mais pas la chance. Si je venais à me vider de mon sang, il me fallait me remplir, comme une bouteille, puisqu'il ne se renouvelait pas. Je ne tombais pas malade, c'était déjà ça. Je ne rêvais guère, ce qui était bien dommage. Lorsqu'il était cassé, mon corps pouvait se réparer, et je ne gardais pas de cicatrice, ce qui pour moi, n'était pas une bonne chose. Après tout, ces marques étaient le symbole du passage de la vie sur notre corps. Et puis, à l'intérieur, je n'étais bien que de la magie, rien que ça. Mon corps seul avait une apparence humaine, comme Judith pouvait en avoir une. Mais si elle possédait une manifestation de surnaturel, sous forme de pouvoir, moi, j'étais LE pouvoir de quelqu'un. De quelqu'un mort aujourd'hui. La seule preuve presque vivante de son passage sur terre. Sa plus belle création. Il m'avait offert une éternité, et sans lui, je ne savais plus avec qui la partager.
Mes camarades, quant à eux, étaient, je le savais, des êtres imaginaires. Ils existaient parce que je leur permettais d'être là, et parce que la démone ne niait pas leur existence. Mais rien d'humain non plus. J'étais faite de magie et eux de pensées.

J'étais impressionnée par ce que cette démone me montrait, et mes expressions faciles le prouvaient bien. Lorsque le feu apparut, je lâchai un grand sourire, lorsque ce fut l'énergie dans sa seconde main, je ne pus m'empêcher d’applaudir cet exploit. La téléportation me fit me retourner subitement, et à nouveau, ce fut un air fort enjoué qui l'accueillit  à ce moment-là. Enfin, lorsqu'elle me parla de lire dans mes pensées, je ne pus m'empêcher de me prendre au jeu, et de lui laisser lire le nombre 3629 dont je faisais le décompte. 3628... 3627... 2626... Ces numéros qui défilaient me firent songer au temps qui passait, et à celui que j'avais accordé à cette pause goûter. En regardant de nouveau mes amis, je pus voir, tristement, qu'ils avaient tous disparu, leur tasse avec. Ils avaient fini par rentrer chez eux.



Il est vrai, que ce n'était pas la première fois que je me retrouvais bêtement seule, surprise par un au revoir inattendu, toujours douloureux, à différente échelle bien sûr. Il y avait ceux dont on savait qu'ils étaient des adieux, ceux qui sonnaient comme des "à plus tard", et puis ceux dont on ne savait rien. C'était ce-dernier que je vivais actuellement. Je ne pouvais appréhender le jour où je reverrais mes amis, puisque cette fois-ci, c'était peut-être bien moi qui leur dirait un au revoir définitif, condamnée à disparaître.
Je me leva tristement, et redonna le sourire à mon visage en regardant Judith, qui avait été de très bonne compagnie.



Leur disparition m'avait fait prendre conscience de la mienne, et avant que cela n'arrive, j'aurais voulu errer dans mes pensées, encore quelques temps, avant que l'on ne m'oublie entièrement.
Poliment, je fis la révérence devant cette créature incroyable.



Ma bulle s’effondrait, le jeu se terminait.