Je sors de la douche commune, une serviette blanche cintrée autour de mes hanches étroites. Alors que je marche en direction de ma chambre, un type que je ne connais même pas m'adresse un petit signe de la main auquel je ne réponds pas. Si son sourire prouve pourtant le contraire, ma mémoire ne me permet pas d'attribuer un prénom à son visage, très attirant, soit dit en passant. Monsieur Davis, mon psychologue depuis plus de six ans, ne sait toujours pas pourquoi je souffre de ces amnésies temporaires. Selon ses derrières hypothèses, il pense que je refoule un événement particulièrement traumatisant de mon passé. Mais j'ai beau me torturer les méninges, rien ne m'est arrivé quand j'étais plus jeune. Rien dont je me souvienne, en tout cas. C'est donc avec un air blasé sur le visage que je rentre dans la chambre que je partage avec Alec, qui n'est pas encore rentré. Je referme doucement la porte et j'attrape un boxer qui traîne dans l'un des tiroirs de ma commode. Je l'enfile distraitement, les pensées ailleurs. Ce soir, quelques amis à moi sortent dans le parc pour picoler à l'abri des surveillants. Si l'idée me tentait bien il y a quelques heures, je souffre désormais d'un cruel manque de motivation. Je saute sur mon lit dans lequel je m'allonge en poussant un petit soupir de satisfaction, laissant la couette de côté malgré l'air plutôt glacial de la pièce. Le sommeil m'emporte rapidement alors que le réveil n'affiche que dix-neuf heures. Plongé dans un cauchemar foutrement réaliste, je commence à voir des silhouettes inconnues aux cœurs arrachés, le visage tordu par la douleur. Et au milieu d'elles se trouve un homme particulièrement beau qui, dans ses mains, tient le palpitant de l'une de ses victimes. Cette vision me retourne l'estomac et j'ouvre les yeux, espérant quitter ce cauchemar ignoble. Si la décoration de ma chambre me prouve bien que je ne dors plus, l'homme est toujours là, le visage couvert de sang. Il me regarde avec un sourire sarcastique et il s'approche lentement de mon lit, profitant de mon immobilité. J'ai envie de hurler mais aucun son ne traverse mes lèvres pourtant entrouvertes. Si seulement Alec était là. Si seulement quelqu'un pouvait entrer dans ma chambre pour faire partir cette vision et me réveiller totalement. C'est sans doute ça le pire, savoir que je suis réveillé et que tout ce que je vois est faux. Mais le type qui s'avance vers moi n'a rien d'un cauchemar. Il semble si... réel. Je sais qu'il ne l'est pas, ce qui ne m'empêche pas de ressentir une impression de déjà-vu. Paniqué, je cherche dans mon esprit une incantation pour le faire partir. Les mots s’enchaînent difficilement mais j'arrive finalement à balbutier une phrase correcte. Tnanetniam erbmahc am ettiuq tnaçanem emmoh tec euq. Que cet homme menaçant quitte ma chambre maintenant. Je ne sais pas si c'est la formule ou le fait de me concentrer sur quelque chose, mais j'arrive enfin à bouger et le type semble avoir disparu. J'en profite pour quitter mon lit et j'attrape une boite de médicaments posée sur ma commode. J'avale un comprimé et je reste debout, loin de mon lit, refusant catégoriquement de retourner m'allonger. Ma respiration commence à devenir plus régulière, moins saccadée, ce qui ne m'empêche pas d'avoir la trouille. Si mes médicaments me permettent de limiter mes pertes de mémoire, c'est parce qu'ils provoquent en moi un état d'excitation qui booste mes fonctions cognitives. En gros, ils m'empêchent de dormir. Et cette nuit, comme beaucoup d'autres, je compte bien rester éveillé. Croiser à nouveau ce type qui arrache des cœurs lors de son temps libre ? Jamais, je préfère encore discuter sexualité avec un homophobe.