Quelques heures étaient déjà passés depuis l’attaque du Projet Shadow et bien évidemment, il y avait de nombreux vestiges. Beaucoup trop de vestiges. En temps que professeur et qu’adulte faisant parti de l’institut, mon aide était grandement appréciée pour aider tous les survivants et l’école à passer à autre chose. J’aiderai à de nombreuses réparations et essayerai de montrer mon soutien psychologique aux nombreuses victimes de tout ça. Je me montrerai présent auprès des enterrements et ce drôle de comportement de ma part effacerait certainement des esprits les nombreuses heures de cours durant lesquels je me montrais trop sévère pour les élèves. Ils me souriaient. Ils me remerciaient. Quand j'en croisais certains dans les couloirs. Alors que, comme pour la mort de mon cousin, comme pour l’attaque des sentinelles à l’Underground, je ressentais toujours ce même poids. Un poids qui trainait depuis des mois, depuis mon intégration dans le Projet Shadow. J’avais beau avoir été un espion à mon propre compte puis finalement à celui de Parker, j’avais ce gout amer de défaite, comme si mon implication dans tout ça n’était pas aussi légère que ce qu’on voulait me faire ressentir. Peu de personnes connaissaient ce passé au sein de l’organisation. Mais tous me soutenaient. Et pourtant, ça ne me faisait rien. Au contraire. Je voulais qu’ils oublient que j’ai, un jour, pu être mêlé à tout ça, même si ce n’était que pour mieux renverser Smith. Au final, je n’avais rien fait. Je n’avais même pas l’impression d’avoir vengé ma mère.

Ma liste des choses à faire était sur mon bureau. Avec différentes listes. Avec des tonnes de noms. La liste des enterrements connus étaient peu remplis. Je n'étais pas au courant de toute nos pertes. La liste des travaux était, elle, plutôt bien remplie. J'avais déjà pu apercevoir beaucoup de dégats affligés aux murs de cette école. J'aurai pu commencer par ça aujourd'hui. Mais sans l’aide d’autres personnes, je ne pouvais pas avancer. Il ne me restait donc plus que la liste la plus superficielle à mes yeux à m’occuper. Les visites. Les simples visites. Auprès de mes élèves. Pour voir si tout allait bien. Ou bien pour comprendre des détails qui m’avaient échappé. Pour cette dernière chose… Il n’y avait qu’un jeune que je souhaitais voir. Un gros raturage en dessous de son nom m’indiquait la priorité que je souhaitais lui offrir quand viendrait le temps de m’occuper de cette liste. Lancelot Blackburn. Bizarrement, cette liste n'était pas prioritaire mais ma soif de trouver réponses à mes interrogations emportaient sur bien d'autres choses.

Je planchais sur mon bureau. J’avais vu que la blessure à sa gorge n’avait pas été tendre. Comme moi. Sauf que moi, Omaël s'en était bien vite occupé. Je touchais mon cou en sentant toujours un frisson désagréable, comme la marque d'une blessure fantome. Est-ce que ce sorcier avait fait pareil ? Mais je m’en fichais bien en fait. Ou en tout cas, tant que ça ne l’empêchait pas de répondre à mes interrogations. Je ne savais pas réellement comment aborder le sujet de Tsumi avec lui. La vision qu’il me restait de ces deux-là, sous les décombre, lorsqu’enfin, l’Institut avait gagné -si on pouvait réellement appeler ça une victoire…- m’avait laissé perplexe. Mais sous la gravité du moment, j’avais préféré juste aider mon élève à porter son ami en sécurité. Un pseudo ennemi, qui était mon ex-collègue, un agent du Projet Shadow dont la situation avait attiré une certaine compassion avec sa fratrie de ma part. Je ne savais pas où était ce mutant et vu ce qu’il encourait comme accusations, j’espérais bien le retrouver avant les autorités. Mon égoïsme naturel semblait ne pas se montrer quand ça concernait l’ainé d’une de mes élèves. Et ex voisin. J’avais tellement de liens avec lui que je me sentais étroitement obligé de l’aider.

Après m’être accordé quelques heures pour me remettre les idées en place, je quittais enfin mon bureau, rangeant avec précaution ma liste, pour me diriger à l’étage de l’institut. La chambre de Lancelot était la numéro 5 à priori. J’y étais donc devant. En vue de la situation actuelle et de la méfiance dont pouvait faire preuve cet élève devant un tel sujet, je préférais aller dans sa propre intimité au lieu de le convoquer dans un lieu quelconque. Après une grande inspiration et une promesse faite à moi-même -celle de ne pas m’énerver car la conversation risquait d’être maladroite-, je finis par toquer à sa porte. Il avait plutôt intérêt à me répondre. J’avais fait appel à mon pouvoir de localisation pour être sûr d’avoir cette discussion.

« Lancelot ? C’est Tomi. J’aurai besoin de te parler. Je peux entrer ? »

Autorisation donnée, je n’en attendis pas moins pour rentrer dans sa chambre. A vrai dire, j’étais surpris, je pensais devoir rentrer sans invitation. Je me trompais donc sur ce sorcier immature ? Je m’attendais même à ne pas avoir de réponse et à le trouver endormi sur le lit. Comme beaucoup de personnes en ce jour je pense. Tout le monde avait besoin de repos. Mais je m’en fichais. Je tenais encore bien debout, pourquoi pas les autres ? Le léger claquement de la porte me fit sortir de mes pensées et je commençai à me concentrer sur ce qui m’était offert de voir ici : La chambre d’un adolescent avec son propriétaire sur son lit. A moitié nu sur son lit. Bon. Mon nez se fronça face à l’odeur de sang qui tronait dans la chambre. Sans demander plus l’autorisation que ça, je me permis d’aller ouvrir la fenêtre et de repousser une moitié de volet pour éclairer la chambre. Quelques degrés commençaient déjà à s’échapper dehors, offrant un courant d’air dans la pièce qui ne pouvait faire que du bien. Et qui pouvait m’aider à garder un Lancelot réveillé. Je me retournais et toujours dans un pas lent, je parcourais la chambre, retrouvant la capsule vide que j’avais offert tantôt au sorcier pour son ami. Ou pour je ne sais pas ce qu’il représentait pour cet élève. Je rageais intérieurement de ne pas retrouver le Tsumi. Je ne sais pas pour lequel j’étais venu au final. Pour le brun certainement après un instant de réflexion. Mes prunelles s’abattirent sur le lit vide mais défait, là où je me souvenais l’avoir déposé il y a quelques heures. Finalement, je m’asseyais à la place du mutant, face au sorcier de cette pièce.

« Vaut mieux pour toi que tu t’assieds. J’ai pas envie que tu t’endormes pendant la discussion. Et vaut mieux pas pour toi que j’ai à te réveiller, tu n’apprécieras pas de manger le plafond je pense. »

Je ne savais pas pourquoi j’étais toujours aussi dur avec lui. Mais à défaut de d’habitude, cette fois, ma voix était fatiguée et sans once de méchanceté. Je posais juste les règles de notre conversation. Comme si le menacer pour toujours le maintenir éveillé était devenu une habitude entre nous. Durant nos entrainements. Face à son envie de terrasser son père. Je soupirai, posant mes coudes sur mes genoux et croisant mes mains.

« Pourquoi Adrian Tsumi était dans l’institut et qu’est-ce que vous faisiez ensemble ? Qu’est-ce que tu n’as pas compris quand on a averti tout le monde que Layla avait été attaqué par lui et un autre du Projet Shadow ? »

J’essayais de rester calme. Mais je ne sais pas si actuellement, je l’étais ou si j’étais éreinté par tout ça. Finalement, j’enchainais les questions, me durcissant dans mon ton, n’attendant même pas qu’il réponse à mes questions. Je pensais avoir les réponses moi-même.

« Tu trouves ça malin d’avoir fait entrer un agent ici ? Tu t’imagines s’il t’avait attaqué ? Ce n’est pas parce que tu es proche de sa sœur que tu ne courrais aucun risque. Nos entrainements sont censés te faire rentrer du plomb dans la cervelle et pas te rendre faible et idiot comme tu l’as été. T’as voulu faciliter le boulot de ton géniteur, c’est ça ? »

Piquer là où ça faisait mal. Une habitude. Mon comportement. Il devait être habitué à force.

Je ne savais pas moi-même finalement si c’était un interrogatoire ou juste une envie de rejeter la faute de n’importe quelle bêtise sur son créateur. Qu’un habitant de l’institut -et surtout l’un de mes élèves- puisse être aussi stupide avec un ennemi m’agaçait. Encore plus quand il s’agissait du lardon d’un psychopathe de sorcier pensant à la suprématie de notre race. Se mettre en danger alors qu’il s’était nommé lui-même sauveur du monde était d’une crétinerie sans nom. Au final, je crois que je prenais enfin cette affaire au sérieux et qu’il m’avait déçu. Ce petit Blackburn aurait beau raconté la vérité, je m’en fichais bien. Du moins, je finissais par tilter et par arquer un sourcil quand il arriva au passage de la mission du Tsumi. Qu’avait voulu faire le Projet en le balançant droit dans mes griffes ? Il ne faisait pas le poids et nous le savions tous. Pourtant, cet imbécile semblait avoir foncé dans le tas. L’étudiant de cette chambre avait raison sur un point : ils n’étaient que des insectes après tout donc je me serai fiché éperdument. S’il avait eu le malheur de me croiser sur le champs de bataille en me cherchant des noises, peut-être ne serait-il pas actuellement en cavale.

Je restais attentif et suivais du regard la scène à laquelle s’adonnait cet apprenti sorcier. Il s’échauffait. Avec une telle attitude, je ne compris qu’avec son monologue pourquoi il était encore en vie. Sans mon ancien voisin, il serait mort de sa stupidité sur le champ de bataille. A foncer dans le tas. A ne pas réfléchir. A agir sans plan. J’avais l’impression que mes entrainements ne lui avaient servis à rien, il n’avait aucun plomb dans la tête. Le sentiment de déception continua à s’agrandir quand il se leva de son lit pour finalement ne rien faire. Je ne savais même plus ce que j’attendais de lui à présent.

« Et si tu avais été plus intelligent que ça, il n’aurait même pas eu à te sauver. » répondis-je aussitôt avec une pointe d’agacement et de défi. « Nos entrainements ne servent pas qu’à améliorer la maitrise de tes pouvoirs. Ils sont censés te mettre du plomb dans la cervelle, te faire réfléchir pour diminuer tes actions puériles. A ce stade-là, je peux déjà commencer à m’entrainer pour aller m’occuper de ton géniteur quand il aura fini de jouer avec toi. »

Je voulais lui faire comprendre ce qui allait lui arriver. Lui faire comprendre la réalité des choses et la difficulté de sa mission.

« Ce n’est pas de la compassion qu’il a eu, tu le sais très bien. Je vous ai déjà vu ensemble et t’ai déjà entendu chez lui. C’est votre amitié qui t’a sauvé. Ce qui montre qu’il est bien plus humain que tous les agents du Projet réunis et que c’est sa tendance à foncer dans le tas sans réfléchir comme toi qui l’a mis dans cette situation. » J’étais trop fatigué pour garder mon sang-froid, j’avais donc tendance à me laisser m’emporter comme Lancelot, mais avec certes, beaucoup plus de retenue. Je repris de manière plus calme, après un soupir.

« Tu n’as pas besoin de le défendre ou faire comme si rien ne vous liait. Je ne l’accuse de rien actuellement. Enfin, je me fiche de son cas, là. La personne la plus à défendre ici c’est toi. Arrête de te préoccuper de lui et regarde dans quelle merde tu aurais pu te mettre si quelqu’un d’autre vous avait vu. Tu aurais pu être viré d’ici. Et je ne t’accuse pas de l’avoir fait rentrer lui mais d’avoir fait rentrer un agent. Si je ne le connaissais pas, je l’aurais achevé sans sommation juste parce qu’il portait la tenue. Mais ça, c’est un détail. Je veux que tu sois conscient de ce que tu as fait et des répercussions qui auraient pu suivre. »

Durant mes cours, qu’ils soient en classe entière ou particulier, Lancelot ne semblait pas avoir compris la règle principale : ne pas me répondre. Même si j’étais dans sa chambre, même si nous étions en dehors d’un contexte professeur-élèves, même si nous venions toujours juste de sortir d’une guerre. Je restais Tomi Hicks, le sorcier susceptible et à prendre avec des pincettes. Et il semblait l’oublier, ou bien le faire exprès. Je ne savais pas sur le moment et je m’en fichai, je remarquai juste que cet idiot n’avait aucun instinct de survie et pour ma part, aucune patience. Je détestais que l’on me pense faible. Qu’on me le fasse remarquer. Je vis rouge quand il me qualifia de futur perdant face à son idiot de père, rouge, tout comme la couleur de mes pupilles. Mon corps se déplaça d’une trop grande vitesse pour mon cerveau et en moins de temps qu’il n’en fallut, ma main se porta au cou de cet abruti d’héritier. Peut-être trop fortement encouragé par mon père dont je sentais la présence et la supériorité dans mon esprit.

*Qu’est-ce que tu fais ?!*

*Cet insolent te manque de respect, je réagis comme tu devrais le faire !*

*Je suis son professeur !*

*Ca te plait de te croire faible ?*

« Je ne suis pas faible… » murmurai-je à la fois à mon père et à la fois à l’attention de cet idiot en face de moi, dont j’essayai de ne pas écraser la gorge plus que ça. Heureusement pour lui, il changea de sujet, partant sur sa nature de futur mèdecin. J’avais envie de lui rappeler son statut de débutant, sa non qualification, mais ça en ferait rien avancer et chaque insulte et chaque mots désireux de sortir de ma bouche, semblaient tout droit sortis de celle de mon père. Et je refusais. Je m’abstenais juste de parler, je m’abstiendrai le plus longtemps possible jusqu’à ce que je sente ma poigne diminuer. C’était compliqué avec son flot de conneries qu’il continuait de sortir. C’était impressionnant ce qu’il pouvait en sortir de sa bouche. La menace qui pesait sur sa gorge, il s’en fichait. Il s’était légèrement débattu au début avant de s’éteindre, comme s’il comprenait qu’il ne valait pas mieux me suivre dans cette bêtise. C’était peut-être ça qui commençait à désarçonner mon père car je sentais moins de fureur dans mon crâne. Et heureusement, car mon élève revenait bêtement à la charge. Me sentant totalement libéré de mon géniteur, j’arrachais ma main du cou de Lancelot en le repoussant.

« Mais bien sûr que ça m’aurait emmerdé de retrouver ton corps, abruti ! Je me serai fait une raison si c’était en te battant pour protéger l’école ! Mais non, tout ce que tu fais, ç’aurait été par pure idiotie de ta part ! C’est ça, continue de cracher sur la chance que tu as d’être ici et amuse-toi encore une fois à faire rentrer ce guignol incapable de réfléchir ne serait-ce qu’une minute ! Vous faites bien la paire tous les deux ! Va le re joindre et continuer à l’encourager dans ses conneries ! Encouragez-vous à creuser encore plus ! »

Tout l’étage devait m’entendre, vu l’absence de retenue dans ma voix. Je tremblai de rage et me retenais de la déverser dans un nouveau geste, plus malheureux que le premier. Pour la peine, au cas ou, je m’éloignai vers une armoire que j’ouvris avant de balancer le premier tee-shirt et le premier jogging que je voyais, l’envoyant sur le lit de mon élève, quasiment sur lui.

« Bouge-toi d’enfiler ça. Je vais te foutre un peu plus de plomb dans la cervelle moi. » Je me rapprochais de Lancelot avec agacement. « Et te rappeler que ton statut de pseudo médecin est incompatible avec ta mission. Tu vas le soigner aussi ton père si tu as la chance de l’écraser ? Pauvre idiot. »

J’attendais une réaction de ce sorcier inerte. Je l’attendais, même lui. Il allait connaitre le plus bel entrainement de sa vie, ce gosse. Enfin, c’est ce à quoi je m’attendais. Alors que je pensais trouver du piquant de sa part, dans ses gestes, dans ses formules, dans ses attaques… Je me cognai soudainement à un mur, me rendant silencieux sur le moment. Me laissant bête. Il osait ? Pour la première fois depuis longtemps, j’étais déçu. Pourquoi depuis longtemps ? Parce que je me revoyais en lui. Ou plutôt, je voyais cet idiot comme le garçon que j’étais avant de devenir Tomi Hicks et de découvrir les vices de ce monde, je voyais un garçon qui avait un minimum de jugeotte. Mon père n’appréciait pas cette pensée, mais je m’en fichais. Je n’avais jamais mis autant d’espoir en un élève, les considérant tous comme des adolescents sans cervelle de base. Celui-ci -bien, qu’il n’était plus vraiment dans la période d’adolescence, disons-le- avait une réelle mission et une véritable envie. Peut-être était-ce à cause de ça que j’avais commencé des cours particuliers, n’offrant pas mon précieux temps à n’importe qui et… Il me lâchait.

Je me figeai aussitôt. Mes gestes brutaux, ma démarche rageuse, ma voix se fichant des murs et se répandant. Tout s’arrêta. Mon cerveau s’était arrêté. Il arrêtait ? Pitié, faites que j’avais mal entendu ? Mais le reste de ses inepties allèrent toutes dans le même sens. Je le suivis du regard, tournant tout juste la tête pour l’accompagner visuellement jusqu’à sa disparition par le cadre de la porte. …

Je ne sais pas ce qu’il m’arriva. Je finis par quitter cette chambre sans laisser de trace de mon passage ou de ma colère. Intact. Oh, il y eut bien quelques objets qui se mirent à léviter tant mon sang bouillonnait dans mes veines, mais tout retrouva sa place, peut-être avec un atterrissage un peu plus sec que leur décollage. Mais aucun dégat. Qu’il aille mourir entre les mains de son père, je m’en fichai bien désormais.