Nous étions à trois jours de Noel. Même sans calendrier, Jake savait que les fêtes de fin d'année étaient toutes proches. Il suffisait de voir les pubs qui encombraient la moindre avenue, ou toutes les boutiques qui avaient installé leur mille et une décorations sur ce thème, ou encore tout simplement en observant les gens qui s'affairaient à leurs courses exagérées. Ils allaient et venaient, pressant le pas pour les derniers cadeaux et les dernières dindes. Adossé contre un mur, les mains dans les poches, nullement gêné par la pluie qui lui tombait doucement dessus, Jake observait tout ce petit monde auquel il n'appartenait pas.

D'un oeil las, il voyait passer les gens qui ignoraient sa présence. Ils étaient bien trop occupés dans leurs préparatifs bourgeois pour prendre en compte la misère autour d'eux, juste bons à boire des chocolats chauds au coin du feu. Intérieurement, Jake les enviait. Ah, il n'enviait pas les repas chaud au coin du feu, loin de là. Depuis le temps qu'il en était privé, ce n'était qu'un détail. Il enviait seulement un peu cet esprit de famille dont il avait toujours été banni. Parfois, quand il voyait le bonheur de familles unies, il ne pouvait empêcher la mélancolie de s'emparer de lui. Peut-être s'en serait-il moqué s'il n'avait jamais connu l'amour. Seulement, aussi loin que cela remontait maintenant, il l'avait un peu connu. Sa mère avait toujours veillé à ce qu'il ne connaisse pas que haine et souffrance. Elle avait toujours été là pour le réconforter, et pour l'aimer. En cela elle fut la seule. Elle lui était unique. Mais elle n'était plus là, et ne le sera plus jamais. Par sa faute.

John rejoignit le jeune homme dans la rue, sortant soudainement ce dernier de ses sombres pensées en le saluant. En dehors de ça, Jake n'était pas surpris de le voir. En vérité, si le jeune mutant se tenait à découvert en ce lieu, ce n'était pas forcément pour ruminer de funestes pensées. Non, en fait, il attendait. C'était le jeune vétéran qu'il attendait. En effet, voilà à présent une bonne semaine que cette petite habitude c'était mise en place, un peu toute seule finalement. Jake avait finit par accepter cet opportunité, de John qui lui offrait des repas. Ainsi, tous les jours le rendez-vous ne manquait pas, à l'heure, ici. Pour Jake, ça lui évitait de mettre le nez dans les ordures et d'avoir des jours de famine. Maintenant qu'il avait enfin conscience que le soldat était sincère, il ne rechignait pas sur l'acquisition facile de nourriture.

- On fait aller, répondit le jeune homme.

Etait-ce de la confiance ? Sûrement qu'il y en avait un peu. Il en fallait un minimum pour que Jake accepte quoi que ce soit de qui que ce soit. D'autant plus que John n'était plus un inconnu à ses yeux. Etait-ce de l'amitié ? Cette interrogation était déjà plus inconvenante. Jake n'avait jamais eu d'amis et ignorait tout de cette relation. Il serait donc mal avisé qu'il considère qui que ce soit comme tel. Pour le moment, l'ex-soldat n'était qu'un soutien mineur mais qui avait néanmoins son importance désormais dans la vie de l'adolescent.

La main dans le sac, mais cette fois-ci en toute légalité, Jake se saisit de sa part de repas que John avait ramené aujourd'hui. Il choisissait plus au regard qu'à ses goûts personnels, pour le peu qu'il en avait. Il n'était jamais difficile en nourriture et ce n'était pas parce que John lui laissait désormais le choix que les choses allaient changer. Les habitudes de rues ne partaient pas du jour au lendemain, tout comme celle qui consistait à ingurgiter le plus rapidement possible sa ration, dans la prévision d'éventuels empêchements à venir.

Et tout ainsi, il se mit à réfléchir à la question de John. Le soldat avait l'art de lui en poser des vertes et des pas mûres des fois. Avait-il déjà fêté Noël ? D'aussi loin qu'il s'en souvienne, non. Bien sûr que non. Et s'il avait un jour connu cette fête, il n'en avait pas le moindre souvenir. Par logique, il y avait peu de chance que son père ait commencé à le battre dès sa naissance -sinon il ne serait plus là pour y penser-. De ses souvenirs, encore bien flous, son paternel s'en était pris à lui avant tout à cause de la révélation de sa mère. Et elle aussi en avait subit les conséquences. A partir de là, de ce moment où il avait découvert les deux mutants sous son toit, s'en était fini. Alors, peut-être qu'avant tout ça, la famille était heureuse et normale et avait effectivement déjà fêté Noël. Jake avait beau creusé dans son esprit, il n'avait aucun souvenir d'une éventuelle vie heureuse. Ca remontait visiblement à trop loin ou alors la maltraitance lui avait fait perdre ces heureuses années de sa mémoire. Sans certitude, il ne pouvait le dire. Donc sa réponse se posa ainsi après sa réflexion :

- Hm non, c'est si important ?

Parce qu'à en voir la ville entière basée sur mille et une couleur chaque année, il y avait de quoi se poser la question. Même les non croyants fêtaient ce jour. Pourquoi ? C'était quoi déjà en plus cette fête ? Sa mère le lui avait dit...Hum...La naissance d'un type important il paraît. Il avait fait des trucs bien à une époque et il est mort sur une croix. C'est tout ce que le jeune homme avait retenu. Le pourquoi du comment des détails, il n'en avait pas la moindre idée. Au fil du temps, il en était même venu à trouver ça un peu malsain d'utiliser la mort atroce d'un homme pour s'empiffrer et être heureux comme des hippocampes magiques. En vrai Jésus devait se retourner dans sa tombe non ?

Enfin, une fois encore, Jake n'avait pas pour habitude de pester contre la population. Les gens pouvaient bien faire ce qu'ils voulaient s'ils le voulaient. Ce n'était pas de son ressort. Ce n'était pas ses affaires. Le but de la fête était que tout le monde soit heureux mais comme d'habitude, c'était de l'hypocrisie pur et dur. Les seuls heureux étaient toujours les mêmes et les opprimés restaient à leur place. Alors oui, il y avait bien les associations qui passaient dans les rues pour aider les SDF, plus particulièrement durant cette période de l'année. Soit. Au final, tant qu'elles restaient loin de Jake, ça lui ferait ni chaud ni froid. Comme ça il laissera sa place à un autre.

- Toi non plus j'imagine ?

Parce qu'il savait que le père de John ne valait pas mieux que le sien. Enfin, c'était son avis personnel. Pour lui, le père de John méritait de crever, point final. Il ne connaissait pas ce type mais s'en était déjà fait un ennemi dans sa tête. Alors il supposait tout au final, que John aussi n'ai jamais eut droit à Noël.

Jake haussa un sourcils. Ah bon ? C'était si important ? Jake ne voyait pas trop en quoi mais il y avait bien longtemps qu'il ne cherchait plus à comprendre le jeune soldat. Il y avait bien un moment d'ailleurs qu'il ne s'embarrassait plus de certaines choses. Le vouvoiement par exemple. Si au départ, la condition plus âgé de John lui avait donné droit à ce signe de politesse de la part du jeune mutant, ceci avait été rapidement dispersé durant la cette semaine, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien. Cela ne voulait pas dire que Jake voulait manquer de respect au vétéran. Ca n'avait rien à voir. Il se moquait bien du respect et de la politesse. C'était juste parti tout seul sans raison apparente. La familiarité à force de voir ce visage connu.

Malheureusement pour l'adolescent, la conversation vira sur un sujet des plus déplaisant : les pères. Ou plutôt, le père de John car le soldat en vint à lui expliquer un peu la façon de faire de son paternel lors de ce jour de l'année si particulier. Jake écoutait en silence. C'est vrai que dit comme ça, ça ressemblait tout à l'ancien temps, où il fallait chasser pour manger le soir au lieu d'aller au supermarché. Remarquez, ça apprenait la débrouillardise. Et c'était sûrement à cela que le père de John voulait s'en tenir. Faire de son rejeton un homme, un vrai.

Le jeune mutant dévorait son repas à pleines bouchées. Comme d'ordinaire, il dépassait des temps records à côté du vétéran qui prenait son temps. Mais tout en se remplissant la panse, l'adolescent ne perdait pas une miette de ce que lui racontait John. Enfermé au grenier ? Ah ça, il connaissait plutôt bien aussi. Sauf que lui, c'est parce qu'il y avait jadis sa chambre, dans cet endroit lugubre, rempli de toile d'araignée. Quand son père voulait l'enfermer pour punir, il choisissait plutôt les placards où Jake pouvait à peine rentrer de part sa taille. C'était sa mère qui venait le délivrer en cachette une fois le paternel en proie à un sommeil sans rêve à cause de l'alcool. Quand lui était ainsi, ou bien tout simplement absent de la maison, l'atmosphère changeait grandement. Jake et sa mère en profitaient pour se remettre de leur déboires et nouer leur lien si proche. L'autre moment où Jake n'avait pas à subir la colère de son paternel était lorsqu'il s'en allait à l'école et rien que pour ça, il adorait y aller. Il n'avait pas plus d'amis cela dit. Il avait toujours été un enfant solitaire, renfermé, qui faisait limite peur aux autres enfants de son âge. Mais il aimait apprendre, quand bien même son moral avait du mal à lui permettre d'accéder à des notes correctes et ses tourments l'avaient fait redoubler plus d'une fois.

Jake termina son repas, toujours bien rapidement. Outre le fait de s'attendre à tout pendant qu'il mangeait, Jake prenait également en compte qu'il n'était pas seul et que John mangeait d'ordinaire à son rythme posé. En terminant le premier, Jake devenait une sentinelle, pouvant mieux mettre sa garde au profil de son duo avec John, le temps que ce dernier termine tranquillement. Ainsi, c'était donc comme ça que John s'était entraîné à utiliser son pouvoir ? Au moins c'était toujours plus sympa que de tout détruire involontairement. En contemplant les guirlandes lumineuses qui pendaient au dessus de la rue, Jake imaginait ce qu'avait dû créer John dans son grenier à ce moment là.

Au final, que ce soit Noël, Halloween, Pâques et on en passe, Jake n'avait connu aucune de ses fêtes, sauf depuis la vitre de sa fenêtre. Il voyait les autres heureux, avoir des cadeaux, se déguiser, s'amuser...Ces bonheurs qui lui ont toujours été refusé sans aucune raison. Enfin si, son père lui disait que c'était parce qu'il était un monstre. Ca lui semblait suffisant. A l'époque, Jake ne savait pas pourquoi il était un monstre. Il n'avait pas encore ses pouvoirs et ne savait pas qu'il en aurait un jour. Il n'avait jamais comprit cette injustice. Plus tard, après le drame, et encore maintenant, il se disait qu'il avait enfin compris.

Pas plus que Noël, les anniversaires n'étaient pas non plus fêter. Du moins, pas comme toute personne normal. Il s'agissait d'un jour comme un autre pour lui mais un jour où lorsque sa mère et lui avaient un moment seul à seul, elle pouvait se permettre de le prendre dans ses bras et lui dire combien elle l'aime et qu'elle ne regretta jamais de sa venue au monde. Elle le disait son rayon de soleil, sa raison de vivre. Pour lui, elle était une ange qu'il n'avait jamais pu protéger. Elle était la tendresse incarnée. Le seul véritable cadeau qu'il pouvait recevoir, quelque soit la fête. Encore une fois, il était possible qu'autrefois, il eu droit à des anniversaires normaux, mais trop lointain pour qu'il s'en souvienne. Mais les anniversaires furent quand même plus marqué que les Noël, et uniquement par sa mère, dès que l'occasion se présentait. Elle n'avait jamais regretté cet enfant, quand bien même elle aurait voulu lui offrir une meilleure vie si seulement elle avait su. Son fils unique, il avait été son trésor le plus précieux.

Les bras croisés, Jake observait toutes ces décorations qui hantaient la ville depuis le début du mois. Encore, les guirlandes, pourquoi pas ? Ca éclairait un peu plus la ville la nuit. Mais les pères Noël automatisés sur les balcons c'était vraiment obligé ? Sans parler des vrais déguisés qui déambulaient sur les avenues pour saluer les petits enfants. Ca aussi c'était malsain. Quand John parlait de ciel étoilé, instinctivement, Jake jeta un bref coup d'oeil vers les cieux. On ne voyait rien. C'était gris de nuage et il pleuvait même toujours un peu. Mais c'était difficile d'imaginer un ciel sans les buildings qui en mangeaient la moitié de la vue. Le ciel décrit par John devait être assez impressionnant.

- En même temps, il ne doit pas y avoir grand chose à regarder dans un ciel du désert...marmonna le jeune homme en songeant aux paroles de l'homme.

Il garda un moment le silence avant de reposer son regard sur les alentours. Après une courte réfléxion, il laissa néanmoins échapper un :

- Ca veut dire quoi "épilepsie" ?

Inculte, ça il l'était et son vocabulaire était également bien réduit mais il n'en avait pas honte et qu'il le sache ou non ne changera pas le cours de son existence. Il se disait qu'il ne loupait rien de bien important. John lui demanda alors s'il n'avait jamais eu de cadeaux. Jake lui jeta un bref regard avant d'observer à nouveau la foule. Il dû cogiter encore un peu pour trouver la réponse à la question.

- Si, je crois.

Autant ne pas lui demander lesquels, il n'en savait rien. Il supposait qu'il en avait déjà eu. Sa mère lui en avait sûrement offert, des choses. Des petites choses qui ne n'étaient pas remarquées par le père. Mais ses plus beaux cadeaux resteront encore et toujours son amour. Il ne savait pas trop si ça comptait pour la question par contre.

Parfois, Jake oubliait qu'il avait affaire à un retraité de la guerre qui avait ses complications. Après, quand le jeune homme marmonnait, en général, c'était qu'il se moquait un peu qu'on l'entende ou non.

- Rien d'important, s'empressa t-il de répondre à l'homme.

Ca ne l'était pas en effet, une simple remarque de passage qui n'en valait pas la peine. Les deux protagonistes avaient désormais tous deux terminés le repas de ce midi. Et demain sera un autre chose comme on dit. La benne, sur laquelle Jake avait prit une curieuse habitude de se percher -chose qu'il n'avait pas fait cette fois-ci- était toujours là et permit aux deux hommes de se débarrasser de leurs déchets alimentaires.

Ah tiens, Jake se couchera moins bête ce soir. John venait de lui tirer une petite définition de dictionnaire pour répondre à sa question. Jake faisait maintenant le lien entre la remarque de John et les lumières de Noël. Ceci dit, c'était pas dit qu'il allait retenir ce qu'il venait d'apprendre aujourd'hui.

- Oh, fut sa seule réponse pour montrer qu'il avait bien écouter la réponse.

Les maladies, c'étaient aussi de belles saloperies ça. Jake se demandait encore comment il avait fait pour ne pas s'en choper une ou deux depuis le temps qu'il traînait dehors. Bon, ça lui arrivait genre une fois dans l'année d'attraper quelque chose qui lui conseillait de ne pas se lever de la journée, mais c'était toujours partit tout seul le lendemain. A croire qu'il était de constitution solide de nature, ou qu'il s'était un peu immunisé à force d'être dans la rue. A moins que ce soit tout bonnement un coup de chance qui s'étalait d'année en année. Depuis qu'il avait appris le réel problème de la jambe de John, il ne pouvait s'empêcher de s'imaginer l'homme un jour au bord de la gangrène. Au fond, l'amputation aurait peut-être valu le coup non ?

Son attention fut finalement titiller par John à ses côtés qui s'énervait sur son briquet. Trop humide. Ca serait un coup de chance qu'il parvienne à l'allumer. Jake l'observait tandis qu'il essayait une autre méthode. Cigarette ? Avait-il plus de chance ainsi avec cette pluie ? Heureusement qu'il ne pleuvait pas beaucoup et que le vent était tombé. Mais le coup de la cigarette sur la semelle fonctionna. C'était plutôt étonnant. Ah les clopes. Non, décidément il n'aimait pas ça. Enfin l'odeur en tout cas. Pour le reste, ça ne regardait que ceux qui en usaient. Mais l'odeur était infecte. On ne pouvait plus se balader dans les rues sans passer à côté d'un fumeur qui avait cette odeur collé sur lui même s'il n'était pas en train de fumer !

Reposant son regard sur l'avenue, le jeune homme aperçu au bout de la rue une voiture de police qui patrouillait dans le coin. A travers les fines gouttes de pluie, son regard se figea, focalisé sur le véhicule. Même si ces flics ne lui voulaient probablement rien, dans sa tête, la menace était présente. Il décroisa ses bras de son torse puis, telle une ombre furtive, un chat en mission, il se glissa dans l'ouverture de la ruelle sombre à l'entrée de laquelle il avait pris cette habitude de retrouver John. Il se hâta de contourner la grosse benne métallique et se cala derrière en s'accroupissant au sol, collé à l'autre extrémité de la benne. On était jamais trop prudent, surtout avec les autorités locales. Il relâcha la tension lorsque, d'un oeil à l'angle de la benne, il vit passer le véhicule. Il en vint finalement à s'asseoir complètement sur le pavé de la vieille ruelle, ça serait pas plus mal pour digérer.

Il avait toujours fui la police, même quand elle lui voulait rien. Il ne pouvait pas la voir, l'autorité de la ville représentait une menace. C'était un réflexe qui était apparu très rapidement dès son arrivée dans le monde de la rue. Sa première fuite fut évidemment la police de New-York, lorsque son pouvoir s'est manifesté pour la première fois de sa vie. Ensuite, parce qu'il volait, parce qu'il fréquentait les mauvais coins, il avait pris cette habitude de fuir ces gyrophares. Pas de risque à prendre, c'était la règle principale. Si les flics l'attrapaient, s'ils le savaient détenteur d'un pouvoir ayant fait des ravages ailleurs dans le pays et bien...Et bien Jake n'avait pas trop envie de savoir ce qu'il adviendrait de lui.

Depuis sa planque improvisée, Jake entendit les mots de John, resté dans la rue pour fumer sa clope. Ce n'était pas plus mal qu'il reste là-bas, il venait de prendre son tour de sentinelle, bien que Jake n'avait pas trop conscience de cette inversion de rôle. Tout en écoutant l'homme qui lui assurait que la police s'intéressait que peu aux SDF, Jake se passa une main dans les cheveux, y retirant l'excès d'eau que la pluie avait déposé.

- Tu as probablement raison, répondit l'adolescent dans son coin, mais je n'ai pas confiance en eux, c'est tout.

La dernière fois qu'il avait eu affaire à eux, c'était dans ce café du quartier Arlington. L'un d'entre eux s'était affairé un peu trop près à son goût. Le pouvoir de Jake s'était déclenché pile devant ces deux policiers et tout s'était enchaîné très vite. L'angoisse, la fuite, le refuge. Quand Jake fuyait, il ne réfléchissait pas. Il ne réfléchissait que après, une fois sûr d'être à l'abri. Chaque chose en son temps, et la préservation d'abord. Par ailleurs, la voiture était parti. Le jeune homme se déplia de son recoin avant de reprendre sa place aux côtés de John, non sans jeter malgré tout un gauche droite du coin de l'oeil.

La question était en effet si stupide qu'elle ressemblait presque à une blague. Lui ? Avoir un portable ? Pourquoi faire ? Et comment en avoir un ? Il aurait pu en voler un, certes, mais il fallait payer l'abonnement et puis de toute manière, il n'avait pas d'utilité à posséder un truc pareil. Qu'est-ce qu'il pourrait bien fabriquer avec un portable ? Appeler des amis ou de la famille ? Il n'en avait pas. Les portables, c'étaient pour pour ceux qui pouvaient se les acheter et surtout pour ceux qui aimaient les contacts -audio, certes mais contact quand même-.

- En effet, très stupide, répondit le jeune homme, est-ce que j'ai une tête à avoir un de ces engins ?

Avoir ou avoir besoin. Dans tout les cas, ça revenait au même. Jake ne doutait pas que John devait en avoir un. Quoi de plus normal puisqu'il l'avait vu s'en servir un jour. Même que c'était son abruti de père qui l'avait appelé et même que ce coup de fil avait déclenché un on-ne-sait-quoi sur la conversation qui avait suivit sitôt après.

- Et avant que tu demandes, j'ai pas de bagnole et j'ai pas d'ordinateur non plus juste au cas où, ajouta t-il, cynique.

Il ne se plaignait pas de ne pas posséder ce genre d'objet. Comme dit, ce n'était pas comme si ça lui était d'une grande utilité dans sa condition. Il pouvait à peine se vanter d'avoir des habits sur le dos, et encore en bon état en plus. Il pouvait à peine se vanter de trouver un toit acceptable pour s'abriter de la pluie, des choses qui, à ses yeux, étaient bien plus nécessaire à sa vie actuelle. Après, Jake n'était pas allé vérifier chez les autres démunis, mais peut-être que pour John, c'était logique que les SDF se baladent avec des portables.

Ca pour se moquer, il se moquait. Il en avait que rarement l'occasion alors quand il pouvait, il ne se privait pas. Il fut néanmoins assez étonné d'apprendre que certains SDF avaient des portables. Comment ils payaient l'abonnement ? Le coup du clochard qui dormait dans sa voiture, ça, Jake l'avait déjà vu de ses yeux donc il voulait bien le croire. Mais généralement, la voiture ne servait pas à autre chose qu'à ça. Fallait pas être claustro pour passer sa vie dans une voiture mine de rien...De toute façon, les SDF vivaient avec ce qui leur restait ou ce qu'ils trouvaient. Ils pouvaient passer leur nuit aussi bien dans une voiture que sur un banc dans un parc.

Jake n'avait pas de portable et n'en avait jamais eu. Ce n'était certainement pas son père qui lui en aurait offert et ça n'avait pas non plus traverser l'esprit de la mère en vérité. Question d'argent peut-être. La famille en elle-même n'avait jamais été la plus riche de la ville et seul le père avait eu un salaire. Ordinateur, pareil. Jake n'y avait jamais touché. Il y en avait eu un dans la maison familial, c'était celui du père. Il s'en servait pour le travail. Jake ne s'était, même en grandissant, jamais vraiment intéressé à l'informatique. Il y avait eu une télévision aussi, comme dans la majorité des foyers maintenant. Jake avait déjà eu l'occasion de la regarder d'ailleurs, justement quand il n'avait pas les nerfs de son paternel sur le dos.

Jake haussa les épaules alors à la remarque de l'homme. Tant mieux si des SDF avaient tout de même des choses de ce genre. C'étaient des vestiges de leur vie d'avant. Jake n'avait rien pu emmener lorsqu'il s'était retrouvé à la rue. Rien à part une photo déchiré de sa mère qu'il gardait précieusement dans sa poche comme un fragment de son coeur.

John suggéra au jeune mutant de se trouver un abri car de fortes pluies arrivaient. Alors ça, c'était de l'info. Comme si Jake avait besoin que quelqu'un lui dise de se mettre à l'abri car il pleuvait. Il connaissait sûrement plus de planques que le soldat dans toute la ville.

- C'est déjà tout trouvé, répliqua le jeune homme, occupes-toi plutôt de rejoindre le tien.

Il faisait naturellement allusion à l'Institut. Sur ce mot, l'adolescent rajusta un peu mieux sa veste sur ses épaules et s'engouffra à nouveau dans la ruelle pour y disparaître dans la pénombre. C'était ainsi tous les jours à présent, son entrée et sortie dans cette avenue pour rejoindre John passait par cette ruelle qui s'enfonçait dans un dédale de petites allées et d'impasses dont le jeune mutant connaissait tous les secrets.