Vous connaissez le phénomène de résonance ? Vous savez, quand vous commencez à parler, au fin fond d’une grotte, par exemple, et que l’écho vous revient dans le lointain ? Bon, on ne pouvait pas dire que c’était exactement la même chose ici, mais il fallait admettre que Bélial savait se faire remarquer de manière amusante. Surtout quand le calme régnait a priori sur les lieux et puis que celui-ci était brisé en morceaux par un sifflotement tranquille puis par des comptines anciennes que Claunech n’avait pas eu l’occasion d’entendre jusqu’ici.

Il aurait pu se montrer dès l’arrivée de son ami. Mais ça aurait été moins drôle, et le faire trémousser un peu ne faisait jamais de mal à personne, non ? Après… Aller jouer avec lui pourrait bien passer le temps.  Surtout que le démon n’avait plus personne à faire morfondre maintenant. Quant à retourner sur Terre… C’aurait été possible mais il n’avait rien de spécifique à faire. Et il doutait retomber sur une demoiselle comme Lilou qui essayait désespérément de faire bien fonctionner son pouvoir de téléportation.

Bref, bref, bref. C’était que Bélial l’appelait de manière plus directe, à présent ; peut-être l’avait-il fait un peu trop attendre.

Un peu trop… En fait, Claunech s’en amusait plus qu’autre chose, mais il était peut-être temps de se montrer quand même, effectivement.

- Toi, mourir d’ennui ? lança-t-il alors qu’il se téléportait derrière son camarade, un sourire on ne peut plus amusé sur les lèvres. Allons, ne me dis pas que tu n’as rien à nous proposer si on sort faire un tour.

D’ailleurs, c’était bien l’un des seuls à l’appeler Clauclau. Peut-être que si un démon avait été présent, il n’en serait pas ressorti vivant, mais Bel faisait partie de ceux que Claunech appréciait fortement la compagnie. Et à ce titre, il pouvait quand même faire des exceptions.

- Au fait, je ne savais pas que tu avais appris des comptines. Tu es devenu conteurs pour enfant, à une période ? Non parce que j’aurais bien voulu voir ça. Tu l’as dit à Lucifer ? Je suis sûr qu’il ne s’y attendrait pas.

Ce n’était pas comme si les démons étaient censés connaître ce genre de choses. Mais bon, quand on avait quelques millénaires comme Bélial… A force, on devait finir par apprendre de tout. Encore que. Claunech ne voyait pas vraiment Lulu connaître des chants pour enfants.

- Tu veux que je sorte un bon cru de ma réserve ou tu préfères bouger… quelque part ? Pour tuer ton ennui, rajouta-t-il avec un sourire en coin.

Que ce soit en Enfer ou ailleurs. Ils auraient tout aussi bien des idées pour trouver quelque chose… et peut-être laisser un peu de chaos au passage, mais ils n’étaient pas non plus des démons pour rien, ç’aurait été triste sinon.

Claunech dévisagea un instant Bélial. Il n’avait pas vraiment changé depuis la dernière fois qu’il l’avait vu : il semblait même en pleine forme, toujours en compagnie du même vaisseau dont il avait l’habitude. Au fond, lui-même gardait souvent le même corps ; contrairement à son ami, par contre,   il n’avait pas vraiment eu l’accord de son propriétaire légitime, mais si parfois ce dernier essayait de ressortir pour reconquérir son autonomie et son indépendance, le démon le renvoyait croupir de là où il venait. Parfois, il était vrai qu’il le laissait libre pour un temps indéterminé. Parfois. Cela n’arrivait pas toutes les dix minutes non plus, et maintenant que Bélial s’était invité, cela risquait certainement de ne pas arriver aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, Claunech ne s’attendait pas vraiment à ce qu’une ombre passe sur le visage de son compatriote. S’il avait certes parlé de ses comptines qu’il chantait à tue-tête, le démon n’avait pas vraiment songé à lui rappeler des mauvais souvenirs, c’était plus des choses qu’il réservait à d’autres personnes, comme à Sytry ou d’autres démons qui n’en valaient pas la peine. Il n’allait pas pour autant retirer ses paroles : elles étaient dites, de toute façon, et Bélial n’était pas du genre à tergiverger éternellement sur un mauvais souvenir.

Cela n’empêcha pas son ami de venir le serrer dans une étreinte qui aurait sans doute pu être étouffante si le démon l’avait voulu. Lui disant notamment qu’il savait tout et que retenir des comptines n’était rien. Ce qui pouvait d’ailleurs se comprendre quand on avait quelques millénaires derrière soi.
 
Lorsque finalement Bélial lui proposa de le border, un léger ricanement sortit des lèvres de Claunech tandis qu’il répondait à la proposition du démon en face de lui.

- Très peu pour moi. Puis, et un sourire apparut sur son visage, je t’occuperai tellement que tu n’auras même pas le temps de penser à ça.

Ceci étant dit, Claunech laissa Bélial choisir le vin de son cru. Il les avait gentiment « emprunté » à un sommelier réputé, alors autant se faire plaisir à certaines occasions, ç’aurait été dommage sinon.

Le bookmaker l’écouta ensuite lui demander s’il avait une maison terrestre. Bien sûr qu’il en avait une, même si cette dernière devait certainement avoir moins de merveilles que le studio de Bélial. C’était assez paradoxal de sa part, d’ailleurs : il avait beau gérer les richesses de l’Enfer et ne faire quasiment qu’un avec l’argent, il vivait malgré tout dans une certaine sobriété. Peut-être parce qu’il avait entrainé la chute de bon nombre d’hommes vivant dans le luxe et l’opulence et qu’il connaissait les deux revers de la médaille. Ou tout simplement parce qu’il préférait enfoncer les humains avec l’argent plutôt que de l’utiliser pour lui. C’était souvent son arme préférée auprès des humains, après tout. Ceci dit, même si le démon ne faisait pas des dépenses toujours extravagantes, il n’avait jamais manqué de rien non plus.

- J’en ai une, évidemment, mais je crois que tu seras déçu, je ne pense pas que j’aie autant de merveilles que toi dans mon humble demeure.

Rapidement, une idée germa dans son esprit tandis qu’il attendait de voir ce que Bélial allait choisir.

- Pourquoi on ne passerait pas chez toi pour que tu me montres tous tes trésors ? Je pourrais même revoir tes pandas roux, et puis, je pourrais te laisser visiter mon appartement pour que tu… disons, pour que tu lui refasses une décoration. Quitte à ce que tu lui ajoutes quelques-unes de tes merveilles si ça te fait plaisir.

Bon, ça, ce n’était peut-être pas une bonne idée, en tout cas si Bélial le prenait au mot. Mais ça pouvait aussi être drôle, et au pire des cas, il n’aurait qu’à rester un peu en Enfer le temps de réarranger son appartement par la suite.

- Je t’interdis juste de tout repeindre en rose, fit-il avec un sourire mi-menaçant, mi-amusé à la fois.

L’un des avantages d’être un démon était de bien résister à l’alcool. Un autre était de n’avoir aucun scrupule à se servir comme il se devait quand l’envie se faisait sentir. Que Bélial choisisse un vin pratiquement centenaire, en l’occurrence, ne dérangeait pas vraiment Claunech : il profitait même de son bon goût, puisque le vin était délicieux. Ce n’était pas la première fois qu’il en goûtait un, d’ailleurs : ça lui était déjà arrivé de fréquenter bon nombre de personnes riches, qui, en pensant s’attirer ses bonnes grâces, lui avaient fait profiter de mets, de vins, ou encore de « cadeaux » dont le démon n’avait jamais eu grand-chose à cirer. Enfin, si, parfois, ça avait été amusant, et ils avaient pu à certaines occasions s’avérer bien pratiques. Mais pour le reste, quand Claunech n’agissait pas dans l’ombre, il avait quand même bien su profiter des hautes sphères de ce monde.

Un sourire germa sur ses lèvres quand Bélial commença à lui parler de la NASA. Il crut un instant qu’il allait lui parler plus longtemps de celle-ci et de son désir de retourner dans l’espace mais le démon écourta plutôt en refusant net sa proposition de refaire son appartement. C’était peut-être une bonne chose, au fond, même si ça n’aurait pas dérangé Claunech d’aller voir les merveilles dont Bélial semblait tenir un minimum. Il aurait limite pu les comparer avec celles qu’on lui avait maintes fois proposées, et qu’il avait d’ailleurs souvent échangées dans des paris où il en avait tiré bon nombre d’argent. Surtout que les humains ne savaient jamais s’arrêter dans des ventes aux enchères. Enfin bref. Il avait parlé d’une vraie fête, et la perspective était vachement intéressante. Surtout que Bélial semblait ambitieux dans son projet. Pour vouloir rendre Lucifer jaloux, en tout cas, il devait être sacrément motivé...

… Et ma foi, ce n’était pas ce genre de choses qui allait le déranger.

Claunech but néanmoins une gorgée de son verre avant de répondre, un sourire sur les lèvres montrant déjà qu’il était partant pour foutre la merde dans les environs.

- Fantastique ? Ca va surtout être topissime si on s’y met bien. Et puis, même si on a fait les deux guerres mondiales le siècle dernier, ca va faire septante ans qu’ils sont dans une période de paix, il est un peu temps de changer ça.

Enfin, même si c’était vrai, ce n’était pas comme s’ils étaient entrés dans un monde de bisounours non plus. Ils s’étaient quand même passé pas mal d’événements depuis la guerre 40-45, et le monde d’aujourd’hui n’était clairement pas un Paradis pour tout le monde. Bien au contraire.

- Tu as envie de commencer les festivités par un plat en particulier ? Surtout que Lucifer a manqué un siècle de folie, alors il faut d’autant plus faire un joli feu d’artifices pour fêter son réveil.

Il n’était pas vraiment difficile de savoir quand Bélial avait une idée en tête ou quand quelque chose lui plaisait. Il suffisait souvent de le regarder pour savoir ce qu’il en pensait, et de fait, l’idée de son feu d’artifice semblait le ravir au plus haut point. Sans cacher son amusement, Claunech remplit de nouveau son verre tandis que le démon en face de lui partait visiblement dans une grande réflexion. Dans des moments comme ça, le démon refusait de le suivre : il risquait plus de se perdre en chemin, et Claunech se doutait qu’il allait tout lui expliquer de toute façon, une fois qu’il aurait réglé tous les problèmes qui se posaient dans son esprit.

Il lui fallut un petit moment, mais Bélial finit par se redresser avec un grand sourire. Preuve qu’il tenait quelque chose et qu’il était très motivé pour l’accomplir. Ainsi lui parla-t-il des jeunes qui mettaient des pétards dans les animaux. Une méthode que les humains auraient sans doute qualifiée de barbare, mais qui semblait bien plaire à son ami en l’occurrence. Au détail près, bien sûr, qu’il allait le remanier à sa sauce, cela n’en faisait aucun doute. Les animaux auraient pu être une cible, bien entendu, mais ils étaient moins intéressants que les humains. Les premiers suivaient surtout leur instinct animal, tandis que les seconds étaient non seulement dotés de sentiments, mais pouvaient aussi réagir et se battre même dans une situation désespérée. Un spectacle déjà plus divertissant qu’une pauvre bête qui n’avait rien demandé et qui était parfois moins stupide que les hommes que Dieu avait créé.

Bref, bref, bref. Exploser des nonnes, donc. C’était nettement envisageable, il suffirait juste d’aller chercher Lucifer avant de tout faire sauter. Ce serait dommage si l’invité d’honneur était absent à un feu d’artifice fait en son honneur, n’est-ce pas ?

- De nous tous, tu auras quand même toujours les idées les plus excentriques, tu sais ? sourit Claunech.

Ce n’était ceci dit pas un reproche, c’était même plutôt ce qui caractérisait le plus Bélial, quand on y réfléchissait. Et de toute façon, il fallait bien ça aussi parmi les démons.

Alors que Claunech réfléchissait déjà aux aspects plus pratiques de la chose, le bookmaker écouta quand même les dernières idées de son ami. Empoisonner les sans-abris et les brûler vifs. Ceux-là allaient vachement s’amuser eux aussi, et Claunech rebondit presque aussitôt sur les paroles de son ami.

- On ne va pas se contenter de les brûler vifs. Tu as des talents de cuisinier non ? Pourquoi ne pas en faire un gâteau final pour notre petite fête ? Ca changera des goûts classiques mais il faut bien de l’originalité pour… genre… rattraper les cent anniversaires qu’il a ratés.

C’était vrai, quoi, en dormant un siècle, Lucifer avait loupé trop de choses. A présent, il était nettement temps de rattraper le coup !

- Du coup, reprit Claunech tout en les resservant tous les deux, tu dois bien avoir un ou deux couvents en tête ? Il faudrait peut-être un espace pour les rassembler d’ailleurs, avant de les faire exploser. Genre sur une plage. Ou dans un coin perdu où personne ne viendra nous déranger. Juste pour avoir une meilleure vue et un meilleur feu d’artifices que quelques explosions bien isolées.

Bon, il y avait aussi les explosifs en eux-mêmes à aller chercher, mais avec la téléportation et leurs pouvoirs, cela ne risquait pas de poser de problèmes. Les demoiselles risquaient de courir, par contre, avant de bien vouloir quitter leur demeure. Mais avec des démons comme visiteurs, elles ne risquaient de ne pas vraiment savoir s’en sortir. Sauf s’ils les invitaient « cordialement » à aller faire un tour dehors, mais même dans cette situation, les sœurs risquaient d’être sceptiques.

Bref. Ils les attraperaient bien de toute façon, quitte à jouer au chat et à la souris.

- Et tu crois qu’il vaut mieux lui présenter le gâteau après, ou genre le mettre en plein milieu de nos chères demoiselles avant d’appuyer sur le bouton qui nous fera de... jolies étincelles ?

Quoi ? En plus de servir de feux d’artifices, elles pouvaient servir de bougies, après tout. Elles auraient un rôle doublement utile, ainsi.

Plutôt que de s’occuper des sans-abris et surtout d’en faire un gâteau, Bélial lui proposa de se tourner vers les quartiers riches. Notamment parce qu’ils étaient de la « meilleure viande », et en soi, Claunech ne pouvait pas vraiment lui donner tort. En tout cas, entre ceux qui se nourrissaient bien ou ceux qui pourrissaient leur vie dans la misère, voire même dehors, parfois, il n’y avait pas photo. Quant aux couvents qui ne florissaient plus, cela ne faisait ni chaud ni froid au démon, mais ils n’avaient au moins plus des saint François d’Assise, qui prêchaient partout la pauvreté et l’Evangile. En tout cas, ces temps-ci ne voyaient plus de réels hommes de sa trempe, et au fond, ce n’était pas plus mal étant donné le retour de Lucifer. Celui-ci avait peut-être remis les points sur les « i », mais les choses risquaient de bouger, à présent.

Claunech se contenta d’acquiescer quand il lui proposa de filmer la scène. C’était un moyen aussi, et il y avait nettement de quoi faire avec une caméra de bonne qualité. Et ça, le bookmaker savait où aller chercher du bon matériel pour faire correctement leur petite fête.

Un sourire germa finalement sur les lèvres du démon quand son compatriote lui dit qu’ils étaient tous les deux « seuls » contre le monde entier. Perspective qui pouvait paraître insensée, voire même folle, selon le point de vue, mais cela plaisait bien à Claunech. Quant à rendre Lucifer jaloux… Eh bien, il fallait savoir être ambitieux dans la vie, non ? Et plus notre objectif était haut, plus il y avait des choses à faire, et en l’occurrence, ils n’allaient pas s’ennuyer, aujourd’hui.

- Je te laisse terminer la bouteille, fit gaiement le démon tandis qu’il se levait. Et si tu en veux une autre, ressers-toi, autant en profiter jusqu’au bout ! Je vais chercher ce qu’il faut pour commencer notre petite fête. Sauf si tu as une commande en particulier ?

Sur ces paroles, Claunech disparut, mais ne tarda pas pour autant à revenir. Il savait où aller pour avoir des outils de bonne qualité – car il en fallait quand même pour que Lucifer ne rate pas une miette de ce qu’ils avaient fait – et il revint donc avec des feux d’artifices, une caméra qui aurait sans doute coûté un os à quiconque voulait en avoir une bonne, et ce que Bélial lui avait éventuellement demandé au passage.

Claunech ne tarda pas à sortir la caméra de son emballage et à l’ouvrir après avoir rapidement fait tous les réglages nécessaires. Un sourire sur les lèvres, il la pointa sur Bélial tandis qu’il ouvrait la bouche en ne dissimulant pas son amusement.

- Alors. Un petit discours pour commencer ?

Juste pour le fun et pour en profiter.