Triste jour que cela était. Durant ces derniers jours, Tomi s’était retrouvé dans un sombre évênement, en tant qu’acteur mais aussi bien en tant que victime. Son poste au Projet Shadow lui donnait l’impression d’avoir une certaine part de responsabilité à travers tout ce désastre. Et si en plus du fait qu’il ne voulait en parler à personne, il ne pouvait non plus en parler à qui que ce soit. Même les personnes les plus proches de lui ne pouvaient savoir. Ni même Tyana, en qui il portait toute sa confiance. Peut-être avait-il peur d’être jugé et d’être rejeté par les quelques personnes qui formaient son cocon vital. Dans tous les cas, il n’assumait pas de faire parti du Projet. Même s’il était un faux agent et qu’il n’était là-bas que pour se venger de la mort de sa mère, le fait de se trouver encore dans cette affaire le rendait responsable.

Et la responsabilité était encore plus profonde et plus poignante lorsque l’un de ses proche est compté comme victime de ces sentinelles. Son cousin pour être exacte. Tomi l’appréciait. Parce qu’il faisait parti de sa famille, mais aussi parce que Liam était un brave gars à ses yeux. Était. Il ne pourrait plus l’être désormais. Et c’est avec cette triste pensée que Tomi prit quelques heures de son travail à l’Institut pour se rendre à son enterrement. Le père de Liam était mort. Sa mère l’avait abandonné. Sa tante –aka la mère de Tomi- était elle-même morte. Il ne savait pas si son cousin avait beaucoup de liens ici. Certainement. Contrairement à lui, Liam avait toujours vécu à Jacksonville. Pour le blond, il était sûr de retrouver une certaine foule à son enterrement. Dont Amara, sa petite amie.

Arrivant au cimetière, le trentenaire se dépêcha de trouver l’endroit où se situerait Liam. Il voulait retrouver Amara au plus vite et la soutenir, un soutien qu’il aurait aimé trouver à l’enterrement de sa mère. Il ne l’avait pas vu depuis longtemps, trop occupé désormais avec ses multiples postes. Depuis tellement longtemps que sa ressemblance avec l’une de ses collègues à l’institut lui sauta au visage lorsqu’il la trouva. Se plaçant à ses côtés, Tomi s’éclaircit la gorge –serrée- pour prévenir la jeune femme de son arrivée.
« Bonjour Amara. » dit-il à voix basse, esquissant un mince et triste sourire avant de déposer une baiser poli sur sa joue.

Tomi grimaça intérieurement face à la réponse d’Amara. Son vécu, ses manières et ses expressions un peu trop françaises étaient facilement maladroites ici, en Amérique. Que fallait-il faire déjà dans un enterrement ? Présenter ses condoléances ? Était-ce aussi ici ou était-ce typiquement français également ? Dans le doute, Tomi répondit toujours à voix basse un « Je suis désolé. ». Pour son bonjour et pour la raison de leur présence ici. Mais aussi par le fait qu’il se sentait intimement lié à la mort de son cousin. Mais ça, il se garderait bien de le dire. A qui que ce soit.

Le blond poussa un soupir tandis qu’Amara le remercia. Chose qu’il trouva étrange à son tour. Les mœurs… Il répondit par un sourire pincé qu’il perdit vite en essayant de faire abstraction à la larme de sa « cousine ». Cousine qu’il voulait prendre dans ses bras pour la réconforter. Les femmes qui pleuraient étaient le point faible du français. Mais il n’en était pas proche. Il l’était plus avec Liam. Et prendre la veuve dans ses bras serait peut-être mal vu, surtout aux yeux d’inconnus. Le sorcier ne s’était jamais autant senti étranger et bloqué, n’étant pas habitué à l’enterrement d’un américain. Il détestait ça et pestait intérieurement.

« C’est… Normal. » dit-il hésitant, passant finalement son bras dans le dos de la jeune femme, sa main sur son épaule comme signe de soutien. « Je… Je sais vraiment pas quoi dire Amara… » rajouta-t-il pour justifier son manque de mots. « J’ai peur d’être maladroit. »

Il n’avait pas encore observé le cercueil. Il avait peur de se rendre compte de la réalité de la chose. De voir la preuve que tout ceci n’était pas un rêve. De s’apercevoir que le cadavre de son cousin était bien là. En partie par sa faute. De ne pas éprouver les bonnes émotions.

Tomi baissa la tête, encaissant les remarques d’Amara. Elle avait certes raison, ce genre de phrases devait l’épuiser et n’être d’aucun soutien. Mais on se trouvait si bête et si inutile face à la mort d’un proche. Lorsqu’elle parla de la sentinelle qui avait tué Liam, le professeur sentit sa boule au ventre se contracter un peu plus.

« Il y en avait des dizaines Amara… Elles sont quasiment indestructibles… Tu n’aurais rien pu faire à part toi aussi perdre ta vie. »

Tomi réfléchit quelques secondes, hésitant longtemps. Ce qu’il allait lui proposer était quelque chose qu’il n’avait jamais proposé à personne. Ni même pour lui. Il pouvait avancer sans revoir sa mère une dernière fois. Il avait eu la chance d’être là, à ses côtés au moment de sa mort. Amara, elle, ne semblait pas avoir eu cette même « chose ».

« Je… » Il baissa sa voix. « Je ne peux pas te le ramener mais… Je peux … Te le faire voir… Le faire venir. Sous sa forme fantôme. Il suffit juste que… Je prépare une potion et que je fasse une simple incantation. » mentit-il, sachant pertinemment que ni la potion ni l’incantation ne seraient simples. S’il était bon dans ces deux domaines là, il savait qu’il aurait besoin d’aide pour la potion… L’aide d’Edriss par exemple. Il se sentait responsable de la mort du couple. Il voulait l’aider. Il voulait aussi se faire pardonner auprès de son cousin. Et auprès d’Amara, indirectement, quitte à devoir refaire apparaitre plusieurs fois son fantôme, quitte à s’épuiser devant l’énergie à déployer pour ce genre d’expérience.

Tomi aurait voulu contredire Amara, mais le souci était que… Il ne la connaissait que très peu. Il l’appréciait comme on pouvait apprécier la petite amie d’un ami. Il n’y avait rien de plus entre eux. Pas vraiment de complicité. Il ne pouvait donc pas la contredire en lui disant qu’elle lui manquerait. Ca serait faux. Même son propre cousin et sa mort n’offraient qu’un léger sentiment de tristesse. Le manque était censé arriver après. Il n’était même pas sûr de le ressentir à vrai dire. Donc non, pas question de lui mentir. Et connaissant peu son entourage, encore moins les liens qu’elle entretenait avec son ex-belle famille… Tomi préféra ne rien dire et répondre plutôt à sa réponse négative.

« Très bien mais… Sache que je peux le faire apparaitre de manière… Solide. Le seul problème sera le temps. Mais… Voilà. Tu es prévenue. Si jamais un jour… N’importe quand, tu sens que tu en as besoin. Tu as mon numéro. »

Le moment d’enterrer arriva. Il fut étrange au blond de constater qu’un enterrement américain était plutôt sobre par rapport à ceux pratiqués dans son pays d’origine. Le moment silencieux, toutes les rares voix s’éteignirent doucement, tandis que Tomi posa sa main sur l’épaule la plus lointaine d’Amara pour la soutenir. La pression était légère mais assez présente.

Tomi finit par hôcher la tête. Bien. Amara savait mieux ce qu’elle souhaitait que lui qui avait proposé cette solution par souci… D’égoïsme et de pardon envers lui-même. Lorsque sa cousine le quitta quelques instants, Tomi baissa la tête et la suivit du regard avec inquiétude, ne se préoccupant pas du cercueil. Ce n’était plus qu’un corps sans vie pour lui désormais. Une simple enveloppe avec qui il avait partagé de bons souvenirs et quelques moments fraternels. Peut-être le ferait-il revenir secrètement pour lui-même, quitte à se fatiguer pour si peu.

La terre finit par refermer définitivement le trou, pierre tombale et fleurs installées. Quelques mots furent chuchotés avant que plusieurs personnes ne commencent à partir en toute simplicité, plus ou moins touchés par tout ça. Tomi se permit enfin de lâcher un soupir. Lui-même ne savait pas ce qu’il allait faire. Il attendit donc sagement qu’Amara décide de sa future action, avant de sortir de sa poche un paquet de mouchoir qu’il avait pris à la sortie de son appartement.

« Tiens. »

« Pas de quoi… » répondit Tomi à l’encontre d’Amara, gêné, ne sachant toujours pas quoi dire ni quoi faire. Mais bientôt, la famille ou l’ex-famille plutôt, de la jeune femme arriva, offrant des baisers à cette dernière. Tomi eut aussi le droit à quelques uns, étant reconnus par des membres de sa famille avec qui il était pourtant éloigné. La dernière fois qu’ils s’étaient vus était lors de l’enterrement de sa mère. En y repensant, Tomi fronça tristement les sourcils avant d’observer l’endroit où elle reposait. Il y avait pensé. Une fleur tronant encore dans sa main, lui étant destinée. Quand enfin, toutes les bises furent faites et qu’ils se retrouvèrent plus ou moins tranquille, le sorcier s’éclaircit la voix avant d’annoncer :

« Je… Ma mère repose là-bas. Je vais la voir. Tu peux venir si tu veux… Ou alors je peux te laisser ici quelques minutes le temps de… Voilà… »

Tomi remercia avec un léger sourire Amara quand celle-ci accepta de l’accompagner. L’œil sec pour l’instant, les deux prirent la route vers la tombe de la défunte mère. Le duo se figea devant une tombe blanche avec très peu de fleurs. La pierre tombale était très simple, une croix blanche, comme les autres et le nom de « Summer McGowen » était noté avec deux dates. Elle n’était pas vraiment entretenue mais Tomi ne s’était pas donné le temps pour s’en occuper. Il avait encore mal en venant dans ce lieu. Pour éviter d’en ajouter, il enleva le collier de son père pour être tranquille et remplaça la fleure fanée du vase par la nouvelle, encore brillante. Le vent avait également fait tomber les 3 cadres qui étaient présents, que le blond se dépêcha de remettre. Lorsqu’il replaça le dernier, il ne put s’empêcher de sourire, tendant la photo à Amara. « Regarde. C’était Liam et moi avec ma mère et mon oncle, quand nous étions petits… » se risqua-t-il avant de rediriger son regard vers la tombe, laissant finalement une larme s’échapper. Le poids de la culpabilité. Liam avait rejoint Summer à cause du Projet Shadow. Encore une fois, cette bêtise lui avait pris quelqu’un de son entourage, ayant été incapable de le protéger ou de l’avertir. « Si tu veux la garder, vas-y. Je pense que la photo sera mieux avec toi. Elle ne sert à rien ici. » ajouta-t-il avant se rassurer. Avec d’aussi vieilles photos et un autre nom de famille, il était bien impossible pour le Projet de faire un quelconque lien entre l’un de ses agents et une « folle » ayant fait des attentats contre le batiment, il y a de cela plusieurs mois, voire année. « Tu auras besoin d’aide pour les papiers peut-être ? »

« Je me trouve plus mignon que lui… » dit-il avec un petit rire triste, histoire de taquiner sa cousine.

Tomi offrit un sourire rapide mais sincère à Amara quand elle accepta la photo tandis qu’il enlevait la poussière qui s’était posée dans la gravure du prénom de sa mère. Les lettres se mirent bientôt à scintiller comme lors de l’enterrement maternel. Content de son léger nettoyage, même si au fond ça ne touchait que lui, le blond se releva en soupirant. Il avait l’habitude de venir jusqu’ici seul et de lui parler. En français. Leur langue maternelle. Il y restait de longues minutes. Chose qu’il ne ferait pas aujourd’hui accompagné. C’était une bonne chose tout de même.

« Je ne sais pas si ça t’aideras à penser à autre chose mais… Soit. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu as mon numéro. Je pense qu’il servira un peu plus qu’avant à partir d’aujourd’hui… » dit-il avant de plonger ses mains sales dans ses poches, devant le temps peu chaleureux.

« Tu veux rentrer maintenant ? Tu ne veux pas que je te raccompagne ? »