Cela fait un moment que j'étais dans ma chambre, le médecin de l'Institut m'avait demandé de venir le voir avant de reprendre les cours. Devant le miroir, je me brosse lentement les dents avant de fixer mon reflet. Mes cheveux sont secs comme la paille et ont perdu de leur éclat naturel, mon teint est grisâtre, ma peau est sèche et je ne parle même pas des cernes sous mes yeux. Je suis dans un sale état mais ce n'est pas que physiquement. On m'a interdit de sortir et d'utiliser ma mutation jusqu'à ce que je sois totalement guéri. La grippe s'en est allée mais, la dépression a bien entamé sa course sur mon âme. Le pire dans tout ça, c'est le sale temps dehors. Je suis coincé ici et ça ne me plaît pas du tout. Résultat ? Je suis d'humeur massacrante et c'est loin d'être simple pour les gens qui m'entourent.

Après mon rapide passage par la case salle de bains, je me dirige vers ma chambre pour récupérer mon bonnet noir et mes lunettes de vue avant de rejoindre le médecin pour un check-up complet.

Bon vous êtes plutôt en forme c'est rassurant. Tu vas pouvoir reprendre les cours.

Je reste dans un état placide, elle trouve que j'ai la forme ? Elle se fout de ma gueule ? Je ne suis pas en forme du tout à cause d'elle. Je me rhabille et quitte l'infirmerie. Mon premier cours de la journée est sur les pouvoirs moléculaires, on m'a clairement obligé à le prendre dans mon emploi du temps, je déteste ça. Je me dirige d'un pas traînant vers ma salle de cours et j'y vois peu de personnes. J'évite de les regarder et m'installe tout au fond de la salle avant de sortir mes affaires. Super journée en perspective…

Je peux sentir le regard insistant du gars non-loin de moi mais, j’essaye de ne pas m’en formaliser davantage même si c’est difficile. Accoudé sur ma table, je dessine l’océan avec une nostalgie non dissimulée. Lorsque la porte s’ouvre, je relève la tête et ce que je vois me fait lâcher mon crayon. Sirom est donc notre nouveau Professeur ? Je me sens encore plus mal qu’au début. Je peux oublier nos échanges de câlins. Je peux oublier l’idée de venir me blottir contre lui pour ressentir sa chaleur. Je peux tout oublier finalement… C’est bien ce que je craignais lorsqu’il m’a ramené à l’Institut. Il s’installe à sa table et je détourne le regard, il est Prof, fin de l’histoire. Il nous salue et demande à chacun de se présenter. Quand vient mon tour, j’entends un bref « attardé » suivi d’un rire moqueur. Ma gorge de serre un peu mais je me présente, comme tout bon élève, décrivant ma Mutation et aussi signifiant que je ne parle pas depuis ma naissance. La jeune fille-garçon se tourne vers moi et son regard devient brillant, comme si de petites étoiles venaient de naître dans ses yeux à l’annonce d’une merveilleuse nouvelle.

Pfff tu parles pas parce que t’es un retardé, pas la peine de chercher une excuse, Parrish !

Je baisse la tête en serrant les poings. Je ne dois pas écouter ce qu’il dit, je ne dois pas lui faire la gentillesse de répondre en lui offrant un coup au visage. Non, il n’en vaut pas la peine. Je reprends le dessin que j’avais commencé, retenant autant que possible les larmes qui ne demandent qu’à couler.

C’est toi l’attardé abruti ! Zola est bien plus intéressant que toi ! Et ta Mutation c’est de la merde comparée à la sienne !

Gros moment de gêne et solitude intense, que je ressens à cet instant.

Mon corps tremble et j'ai subitement froid. Je ne comprends pas pourquoi il y a tant de haine en lui. Je ne lui ai pourtant rien fait. En fait, je n'embête personne depuis mon arrivée, je reste pour ainsi dire, dans mon coin et j'observe. Satia a prit ma défense et je l'en remercie parce qu'elle n'était pas obligée de le faire. Je me sens affreusement mal et des larmes se sont échappées de mes yeux bien malgré moi. J'ai envie de m'enfuir loin d'ici pour retrouver mon océan. J'entends Sirom qui ramène l'ordre, il doit être énervé ce qui est compréhensible. Je me prostre dans mon coin, en venant étudier ici, je ne cherchais pas le conflit. Faut-il croire qu'on le fait très bien à ma place. Chaque larme qui coule est un nouveau manque de vie en moi, l'eau salée est comme le sang dans mes veines.

J'entends des pas venir vers moi et la voix de Sirom s'élève encore contre Valian. En tout cas, il ne rigole pas quand il joue son rôle de Professeur. La tension est palpable mais je reste presque immobile, tremblant comme une feuille et frissonnant. Valian est expulsé du cours avec un mot sur son carnet. Oui, Sirom ne plaisante pas du tout, ça en est presque flippant. Lorsque qu'il m'interpelle, je redresse timidement la tête et lui réponds que ce n'est pas la peine que je sorte, que ça ne changera pas grand chose à mon état. Je baisse les yeux de nouveau et fixe mon dessin tristement. Je veux m'en aller mais je ne le peux pas, je respecte bien trop Sirom pour partir de son cours. J'aimerais me blottir contre lui mais, c'est inapproprié et plus jamais je ne le pourrais...

Je m'excuse auprès de lui, lui disant que ça ne se reproduira plus. En même temps, ce n'est pas de ma faute mais, je ne peux pas m'empêcher de le croire. Je me sens coupable d'être si différent.

Je pensais que les choses seraient simples dans cet Institut, que je rencontrerais des gens sympas, que je me ferais des amis comme moi. Je me suis bercé d’illusions. Ma naïveté en a pris pour son grade. Ici, je n’ai rencontré que haine et jalousie. Je ne dis pas que tout le monde est comme ça, mais, je suis passé inaperçu dès le départ. Mon mutisme n’aide en rien pour me lier d’amitié avec qui que ce soit. Si seulement je pouvais parler, ce serait mieux mais, j’ai essayé de pousser ma voix pendant ma convalescence, et rien ne s’est produit. Sirom est là, près de moi et pourtant, il est loin. Je ne peux pas venir me réfugier dans ses bras. Je ne peux pas lui demander de me serrer fort contre lui. Tout ça, c’est du passé je le sais.

Sirom a repris sa place et nous demande de faire le vide dans nos têtes. Il est marrant lui, il croit qu’après ce qu’il vient de se passer, je vais y arriver ? Je me sens terriblement mal et des idées sombres se sont greffées dans mes pensées déjà extrêmement bancales. Satia n’a pas réussi le test, quant à moi, je sais déjà ce qui va se produire.

Ne t'inquiète pas, cela ne pouvait pas réussir du premier coup, il te faudra du temps. Zola, si tu veux bien retrousser ton pantalon... Je n'ai pas pu obtenir une baignoire mais j'ai une bassine... Pour les exercices ici, nous devrons nous contenter de cela. Toi aussi, essaye de te concentrer sur ta forme humaine alors que je vais mouiller tes jambes avec cette eau.

Je me lève et retire mes chaussures et mes chaussettes avant de remonter mon pantalon le plus haut possible. Je suppose que l’eau présente dans cette bassine est de l’eau du robinet, pour le coup ça m’arrange, au moins mon pantalon ne sera pas déchiré. Néanmoins, je ne sais pas si mon appendice poissonneux sera joli à regarder. Je m’installe sur le matelas, jambes tendues et proches l’une de l’autre. Je laisse Sirom verser de l’eau sur ma peau en essayant de me focaliser sur mon apparence humaine. Peine perdue, je ne suis pas en état émotionnel pour ce genre d’exercice. La transformation s’opère mais bizarrement, elle est douloureuse pour moi et quelques petites coupures apparaissent sur ma nageoire. Je grimace. C’est comme quand on a les lèvres trop gercées et qu’une plaie se forme. Je serre les dents et les poings puis récupère rapidement de quoi me sécher. Je n’ai pas envie d’imposer cette vision aux gens qui m’entourent. Je cache la chose qui remplace mes jambes et me frictionne. Il n’y a pas grand-chose à sécher et c’est tant mieux.

La situation ne m’aide pas à me sentir mieux, Satia qui est sensée devenir une fille lorsqu’elle touche une fille, en devient une lorsqu’elle me touche. Bon, voilà, ils savent tous les deux que je suis homosexuel et vierge. Génial. Je n’ai pas honte de ce que je suis mais, j’aurais largement préféré que Sirom ne l’apprenne pas de cette façon. Je relève la tête en me mordant discrètement l’intérieur des joues, et alors que je croyais que ça ne pouvait pas empirer, je note la présence du col des prêtres au cou de Sirom. Bon comme ça c’est réglé ! Il est prêtre, je suis gay, il va me détester en disant que je suis une erreur, que Dieu m’a mal fabriqué. Vive la religion. Mes jambes enfin sèches, j’abaisse mon pantalon et me rechausse sans demander mon reste. Je reprends ma place évitant de les regarder. J’ai peur de lire dans leurs yeux leurs jugements. J’ai peur de lire de la haine, de la honte, que sais-je encore. C’est la fin du game et je commence à me dire que je devrais partir d’ici et ne plus jamais revenir. Rester dans l’océan et ne plus jamais en sortir. Oui voilà, je vais faire ça. Finalement, je n’ai pas ma place sur la terre, ma place est bel et bien dans la mer.

Je suis donc de retour à mon bureau et je croise mes bras dessus, posant ma tête dessus. Ouais, autant se cacher parce que j’accumule les échecs dans tous les domaines depuis que je suis tombé malade. J’ai froid encore, j’ai hâte que ce cours se termine. J’ai hâte de retrouver mon lit pour pleurer comme un bébé sans que personne ne me voie. Je finis par me redresser et reprends mon dessin en me perdant dans mes pensées. Je n’ose plus regarder Sirom. Lors de notre première rencontre, je me suis attaché à lui plus que ce que j’imaginais de possible. Je ne sais pas pourquoi c’est tombé sur lui, mais je ne peux plus rien y faire. Et pourtant, il faut que je me fasse une raison : il est Professeur et prêtre, fin de l’histoire, même si elle n’a pas commencé.

Les essais de Satia ne sont guère fructueux et dès qu’elle me touche, ou plutôt dès qu’il me touche, il redevient fille. Je crois qu’autant lui-elle que moi, nous allons avoir beaucoup de difficultés à gérer nos mutations. Quoique Satia semble s’en sortir mieux que moi. Je crois aussi que Satia a peur de me déranger du coup, pour sa transformation, elle me touche du bout des doigts. Je ne vais pas m’énerver sur lui-elle, si je peux l’aider un peu, autant le faire même si je ne suis pas bien du tout.

Zola, est-ce que ça va ? Tu es tout pâle. Tu veux quand même réessayer ?

Je me suis un peu recentré sur l’importance du cours, ça m’évite de trop penser. J’acquiesce et remonte mon pantalon une fois de plus et retire chaussettes et chaussures avant de prendre place sur le matelas. Je respire doucement et ferme les yeux. Faire le vide dans sa tête, ne penser à rien d’autre qu’à mon apparence humaine. Je peux visualiser mon corps humain mais, lorsque l’eau touche ma peau, de vives douleurs se font ressentir. J’ouvre très rapidement les yeux, mes jambes ont bien pris l’apparence d’une queue mais, à présent, les quelques petites plaies que j’avais, se sont mises à saigner plutôt abondamment. Si ma voix était là, je serais probablement en train d’hurler de douleur. Je vois mon environnement se mettre à tourner et mon cœur palpite comme jamais, le noir se fait d’un seul coup. Je crois que j’ai perdu connaissance. On ne pouvait pas faire pire je pense. J’ai accumulé trop de mauvaises choses depuis plus d’une semaine, l’interdiction d’aller à l’océan, les quintes de toux, les douleurs musculaires… Alors forcément, à un moment donné il fallait bien que ça arrive. Je me sens mal, plus mal que je ne l’ai jamais été de toute ma vie. Je pense sincèrement que je devrais partir d’ici, reprendre ma vie d’avant au gré des voyages professionnels de mes parents, et ne plus réfléchir à ma condition de Mutant. C’était plus simple avant d’arriver ici, je regrette le choix de mes parents.

J’ai perdu toute notion de la réalité. Je plane dans une autre sphère sans savoir ce qui se passe dans la salle de classe. Je crois que je n’écouterais plus personne maintenant. Je sais ce qui est bon pour moi et c’est la mer, point. Une voix m’appelle et je vais vers elle sans attendre. Cette voix, c’est celle de Sirom, j’en suis persuadé. Il me demande de me réveiller, me supplie presque et lentement, je papillonne des yeux. Je peux ressentir les embruns marins et je ressens un bienêtre qui me semblait perdu. Mon regard se connecte à celui de Sirom et je me sens rougir. Je pose ma main palmée sur sa joue et lui fais un sourire. Je me sens mieux, vraiment mieux. Mon pouce glisse sur les lèvres du jeune prêtre, une fois de plus, il m’a sauvé la vie. Je ne saurais jamais assez le remercier. Quitte à me prendre une gifle, je tente le coup. Mon visage se rapproche du sien et mes lèvres terminent leur voyage sur les siennes. Un chaste baiser, le premier baiser de ma vie. Avant aujourd’hui, jamais je n’avais embrassé qui que ce soit. Je recule mon visage du sien et lui souris avec douceur. Je le remercie de m’avoir aidé une fois de plus et lui explique que l’on m’avait clairement interdit de quitter l’Institut le temps de ma convalescence. Je ne pouvais pas sortir pour venir me réfugier dans l’océan. J’étais malheureux et exécrable avec mon entourage. Je pense que j’ai retrouvé un teint parfait et mes cheveux ont dû reprendre leur couleur naturelle. Je regarde autour de nous et remarque qu’effectivement, nous sommes à la plage. Jusqu’à présent, je me suis focalisé sur le visage réconfortant, rassurant de Sirom. Je lui demande s’il n’a pas froid dans cette tenue, pour le coup, je n’aimerais pas qu’il tombe malade par ma faute.

Mes yeux restent connectés aux siens, ma main toujours posée sur sa joue que je caresse délicatement. Il veut me protéger des autres et moi, je veux le protéger des autres aussi ? Nous voilà bien avancés. On est dans une voie sans issue ou presque. Il semble penser que je ne vais pas bien, sûrement pense-t-il que le baiser que je lui ai donné, n’était sans doute pas sérieux. Seulement, ce baiser veut dire beaucoup pour moi et j’avoue que j’ai un petit pincement au cœur. Je lui souris brièvement avant de lui dire qu’il peut me lâcher, qu’il peut aller se réchauffer sur la plage parce que moi, je n’ai pas froid. J’aimerais l’embrasser encore une fois mais, je suis pratiquement sûr qu’il va me rejeter. Il va me dire que ce n’est pas possible entre nous parce qu’il est bien trop âgé ou que sais-je encore. Finalement, le petit sourire que j’avais sur le visage, s’efface et je baisse la tête. Je me dégage gentiment de l’étreinte de Sirom, lui offrant un dernier baiser avant de plonger sous la surface. Je remonte quelques minutes après et le fixe, on peut lire une certaine tristesse dans mon regard mais, j’ai l’œil vif et pétillant grâce à la mer. Je sors mes mains de l’eau et lui dit une nouvelle fois que, s’il le veut, il peut aller se réchauffer sur la plage en me laissant ici. Il peut même rentrer si il a envie, de toute façon, je n’ai pas le droit de l’en empêcher. Je me tourne face à l’immensité de l’océan en restant immobile. Je me sens bien physiquement mais, dans ma tête, je ne sais pas trop. J’ai énormément d’affection pour Sirom et ça me fait horriblement peur. Je n’ai jamais ressenti ça auparavant, je ne sais pas comment faire pour gérer ce nouveau sentiment naissant.