Trois jours. Trois mauvais jours durant lesquels Tomi faisait des allers-retours entre l’institut et chez lui sans changer de trajet, sans aller autre part qu’à ces deux endroits. N’avoir qu’un travail n’était pas apprécié par le sorcier qui aimait avoir de la diversité. Quant au Projet Shadow, il préférait l’éviter pour l’instant, sa haine le rongeant encore trop pour pouvoir retourner incognito là-bas sans tuer qui que ce soit. De nombreux regrets l’habitaient. Il avait l’impression d’avoir raté le moment opportun. D’avoir loupé le moment où il pouvait faire sa révérence, tuer Smith et disparaitre. Par sa faute, des innocents étaient morts. Son cousin était mort, détruisant Amara par la même occasion. Toutes ces circonstances l’avaient mené à se retrouver face à Cain et Tyana.

Cela faisait aussi depuis trois jours que Tomi avait retiré son médaillon. Son père avait fait n’importe quoi. Il avait osé le contrôler, profiter de sa faiblesse, révéler des sentiments qu’il s’était caché jusqu’à sa dernière rencontre avec Tyana. Son géniteur essayait bien de lui expliquer ses raisons et que c’était de la faute de son fils s’il était arrivé à prendre possession de son corps, mais… Non. Tomi s’en voulait déjà à lui-même, en plus de son père. Pas question de bouger la faute. Chacun était en tort. Et voulant être tranquille et ne plus avoir affaire à lui, au risque de détruire le collier et de s’infliger une malédiction éternelle –ou du moins, jusqu’à sa mort-, le professeur avait laissé son collier chez lui.

Durant les cours, des potions étaient soigneusement préparées et dans son sac, en prenant régulièrement. Une pour les immondes douleurs présentes dans chaque membre, l’autre pour cacher plusieurs parties de sa peau cramoisie par l’absence du collier. Mais en dehors des cours, plus question de prendre ces potions immondes.

Pour oublier la douleur et toutes ses pensées, Tomi avait récupéré un peu de ses vieilles habitudes. Fumer lui faisait du bien. Il planait. Il ne se sentait pas en forme. Ni de bonne humeur. Il ne ressentait juste plus rien. Plus de douleur. Plus de peine. Plus de haine. Plus rien. Le néant. Le blanc de ses yeux ressortait aussi rouge que son cou marqué par d’innombrables tâches de brulures. Autant dire que ça n’était pas la fatigue.

Lorsque ses doigts habiles posèrent le tabac et la drogue sur sa feuille qui fut bientôt roulée, il s’aperçut qu’il n’en avait plus. Plus de recette miracle. Et tout son salaire de professeur était parti dedans déjà. Ses rares heures ne lui permettaient pas plus. Se sentant paniqué par la future absence de son bien être, le blond se leva et se dirigea vers l’Underground. Quelque part, dans un de ses tiroirs, il lui restait un pochon.

Y allant à pied, son quartier n’était guère loin du batiment détruit. En 10 minutes, Tomi arriva derrière son ancien batiment. Seule la partie devant était détruire. Mais ça n’avait pas empêché quelqu’un de fermer les portes. Zut. Faisant le tour, le sorcier s’aperçut bientôt que les travaux avaient commencé. Mais il s’en fichait. Roulée au bec, à force de tourner autour du batiment, il finit par voir apparaitre après un coin, dans son champ de vision Tyana assise sur sa voiture, face aux travaux commencés. Il se figea net, l’observant. Il ne s’était pas attendu à la voir là. A vrai dire, il n’y avait pas pensé. Mais il s’en moquait. Il remerciait l’élément illicite qu’il fumait pour l’empêcher de paniquer après le désastre de l’autre jour.

Intérieurement, il avait remercié l’élément illicite, certes, mais il le maudit ouvertement quand Tyana le repéra et lui fit signe de la main. Saleté de merde. S’il avait tous ses neurones, il aurait eu le réflexe de déguerpir et de continuer sa vie. C’était encore trop tôt pour la rencontrer. Pour la revoir et pour que tout se passe bien. Devant le signe, le professeur baissa la tête quelques secondes, soupirant. Il ne pouvait pas l’ignorer, ni même partir. Lui faire juste un signe ? Encore moins. Il avait beau être sous les effets de la drogue… Il savait qu’il pourrait tout faire foirer et il n’en était pas question. Il ne voulait pas que Tyana parte de sa vie. Qu’elle soit sienne ou non. Il avait besoin d’elle.

Jetant son roulé à terre et l’écrasant, Tomi finit par se décider à la rejoindre. Avec des pas lents. Il avait oublié son visage et son cou partiellement marqués par les brûlures. Il ne faisait pas attention à ses yeux rougis par son pet. Il ne faisait pas attention à l’odeur de drogue qui planait autour de lui. Il n’avait pas conscience d’avoir l’apparence d’un junkie défoncé.

D’habitude, il aurait embrassé Tyana sur la joue de manière amicale et selon les circonstances, l’aurait prise dans ses bras. Mais vu leurs dernières minutes passées ensemble… Il se retint de tout. Gardant un périmètre de sécurité pour ne pas trop s’approcher de sa patronne, le DJ se figea face à elle. Incapable de sourire. A part un petit pincement peut-être. Très rapide.

« Tu viens surveiller comment ça avance ? » demanda-t-il, désireux de partir sur une conversation basée sur « la pluie et le beau temps » plutôt que de faire allusion à leur dernière rencontre. De toute manière, il ne comptait pas rester longtemps, ni prolonger la conversation d'une quelconque manière qu'il soit.

Tomi essayait de se concentrer sur le batiment pendant que Tyana justifiait sa présence ici mais ça restait difficile. Surtout lorsqu’elle parla des soucis de la vie de couple. Il eut envie de sourire. Pas qu’il était content d’apprendre que Tyana allait mal à ce niveau là… Mais s’il y avait des possibilités qu’elle retrouve son célibat… Pas pour qu’elle lui tombe dans les bras ensuite. En plus de ne pas être le genre de la patronne, tout ce qu’il voulait, était qu’elle s’éloigne de Caïn. Mais bon. Il tiqua légèrement, mais ne lâcha pas les travaux du regard. Ne pas s’en réjouir. Ne pas s’en mêler. Ca allait obligatoirement retomber sur le sujet fâcheux… Et elle verrait aussitôt naitre sur le visage de Tomi un sourire incontrolable.

« Je te comprends parfaitement. L’Under’ me manque aussi. Vu que je n’ai que les heures de cours, je profite du moindre faux pas des élèves pour leur donner des cours particuliers à côté pour faire passer ma journée… » dit-il en rigolant légèrement, voulant détendre l’ambiance… Ou plutôt voulant se détendre lui-même. « Dans combien de temps les travaux prendront fin ? »

Tomi soupira. Il avait certainement abusé entre les cours particuliers et ses nombreuses soirées à fumer, n’ayant à peine réellement réalisé que l’institut avait tout de même mis plusieurs temps à se reconstruire. Ca n’avait été que secondaire dans sa vie, ayant certainement perdu le fil du temps, absolument perdu entre tout ça. Et lorsqu’elle commença alors à parler de leur dernière rencontre… Son teint devint certainement livide comme il fut rare de le voir chez lui, sachant d’habitude garder le contrôle. Mais là, ce fut difficile. Passant sa main par gêne dans sa nuque, il relança une ancienne démangeaison, commençant à se gratter les parties rougies sur son visage.

« Oublier quoi ? Le fait que j’ai attaqué ton mari ? Le fait que mon père ait fait surface ? Ou le fait qu’il ait avoué des bêtises plus grosses que lui ? » demanda-t-il d’abord sur la défensif, lui-même perdu entre tout ce qu’il s’était passé la dernière fois. Il soupira encore une fois, essayant de se détendre, bien que sa machoire était fermement ressortie.

« Tu sais bien que tu peux tout me demander mais… S’il te plait Tyana. Tout ce que tu as vu et entendu… Ne l’oublie pas parce que je vais te rendre ce service. Oublie parce que tout ce que ce cinglé a dit était totalement faux et parce que connaitre son existence ne te servira à rien. Je ferai attention à ce qu’il… Ne fasse plus ça. Quant au souci entre moi et ton mari… Nous l’avons cherché lui comme moi. Et je ne me ferai jamais à l’idée que tu appartiennes à ce fou. Je ne peux rien te promettre quant à ma future rencontre avec lui. »

Il avait parlé calmement, mais la voix prise. Il esperait que Tyana la croirait. Pourquoi ne le croirait-elle pas ? Après tout, lui-même ne croyait pas les paroles de son fou de père. Il avait rêvé. Inventé des bêtises. Vu des sentiments là ou il n’y en avait pas. Il se frotta l’ensemble du visage, fermant ses yeux avant de croiser les bras sur sa poitrine :

« J'espère que l'on peut considerer ces 3 sujets comme clos. Et que… ça ne nuira pas à notre amitié… Comment je peux t’aider Tyana ? »

Tomi se crispa lorsque Tyana s’approcha de lui. Resserrant ses bras contre son torse, il recula légèrement. Il ne savait pas pourquoi. Même après avoir offert des explications, il restait sur ses gardes. Pour lui. Mais aussi pour Tyana. Mais il fut comme apaisé par ses mots. Par sa douceur. Il ne la regardait pas, préférant éviter son regard qui cherchait le sien pourtant. Il observait le sol, touché par ses paroles. Oui, ils en avaient vécus, des choses ensemble. Le sorcier était même prêt à offrir sa vie pour celle qu’il considérait comme sa meilleure amie. Et pourtant, il continuait à se voiler la face.

« Très bien. Tu as le droit de savoir. Tu as raison. Mais ça ne m’avancera à rien. Ca surement uniquement pour ne plus rien te cacher. » dit-il, se demandant finalement… S’il comptait lui parler de son statut au Projet Shadow. Elle devait comprendre. Et s’il venait à disparaitre… Elle comprendrait. Soupirant, il laissa Tyana expliquer son souhait. Et là… Tomi défaillit. Son regard se posa d’abord sur Tyana puis sur son ventre, bouche ouverte, qui se transforma en un sourire qu’il n’avait pas sortit depuis de nombreux jours. Ses yeux pétillants remontèrent sur le visage de Tyana, il eut envie de la serrer mais… Il se retint.

« Je… Félicitation Tyana ! Je… Sais pas quoi dire. C’est génial ! » s’empressa-t-il de dire. Il perdit légèrement son sourire en pensant que Caïn devait être le père, comme prit par une jalousie. Mais finalement… Il s’en fichait. C’était à lui que revenait le rôle de protéger cet enfant. Pas à lui. Calmant ses ardeurs, mais ne pouvant s’empêcher de garder un regard brillant, il finit par hôcher la tête.

« J’ai compris. Tu ne peux pas me faire plus plaisir Tyana… Je te promets. Tu as une idée précise de ce que tu veux ? »

Tomi soupira. Pourquoi devait-elle sans cesse remettre Cain sur le tapis ? Etait-ce sa manière à elle de rappeler au sorcier qu’elle appartenait déjà à quelqu’un ? Il se tût pourtant et attendit les consignes de Tyana, avant de hôcher la tête et de démêler ses bras.

« Je te promet que vous aurez enfin la chance d’être parent. Tu as ma parole. » dit-il en se frottant machinalement les mains, réfléchissant sur la possibilité d’une telle formule. Il avait un haut niveau en sorcellerie, mais protéger ainsi quelqu’un sans retour lui était impossible. Ses plus puissants sortilèges avaient besoin d’un certain retour, d’offrir un équilibre. Mais ça, il allait bien se le garder. Par son sortilège, il allait se lier à cet enfant, devenir son bouclier, même à distance. Tout ce qui touchera à l’enfant, jusqu’à sa naissance allait devenir son problème. Il serait prévenu par la douleur. Mieux encore, il allait pousser un peu plus loin la formule, englobant Tyana avec. Mais tout ça, il n’était pas question de lui dire. Elle refuserait. De plus, ça pouvait paraitre comme moyen de surveillance. Alors que non. Tout ce qu’il désirait, était son bien et son bonheur. Quitte à la laisser tranquille avec son idiot de père. Avec ce chanceux futur père.

« Très bien. Laisse-moi juste deux secondes pour formuler tout ça… » demanda le sorcier, avant d’observer autour d’eux. « Allons derrière le batiment. On ne sait jamais… » Il ne fallait pas qu’on le voit utiliser de la magie. Une fois à l’abri des regards, Tomi lança un dernier regard à Tyana avant de baisser son regard vers le ventre, entamant son sortilège en français. Ses yeux s’éclaircissent durant le temps de la formule qui dura une courte minute, tandis qu’une aura lumineuse entoura d’abord le ventre, puis le corps entier de la mutante, puis enfin le sorcier. A la fin du sortilège, un flash apparut, aveuglant le sorcier qui se tût durant quelques secondes, jusqu’à ce que son regard s’éteigne.

« Voilà. Il ne lui arrivera rien. Aucune douleur. Aucune menace. » dit-il en sentant un poids dans son estomac.

Tomi observa les alentours, attendant que Tyana lui réponde. Il lui offrit un sourire face à son remerciement, sans vraiment toujours l’observer. Peut-être aurait-il dû car il fut surpris de la sentir l’enlacer. Il se figea quelques secondes baissant sa tête sur sa chevelure. Soupirant silencieusement, ses bras vinrent entourer de manière fraternelle le haut du corps de la future mère, fermant ses yeux, profitant de ce moment. Il aurait pu rester ainsi une éternité, sentant son cœur rouler dans sa poitrine, dégageant une sensation agréable qu’il n’avait pas ressenti depuis Cristal. S’en apercevant, il finit par le relâcher.

« On est chacun redevable à l’autre alors. » dit-il, finissant par casser le silence qui s’était incrusté entre les deux. « Sans toi, je ne serais certainement plus de ce monde depuis longtemps. Et je t’en remercie, car je ne regrette rien de tout ça. » finit-il avant de mettre sa main dans la nuque de Tyana pour ensuite déposer un baiser sur son front. Il rompit finalement tout contact, observant le ventre caché par la veste.

« Même si… Il est protégé… Sois prudente. Je l’ai protégé de possibles attaques physiques et magiques mais… » il toqua gentiment la tempe de Tyana avec son index. « Il n’est pas protégé de toi-même. Ne deviens pas folle avec son père. N’hésite pas à aller prendre l’air et te reposer l’esprit. D’accord ? C'est important.»

Tomi finit par garder son sourire sur son visage. Cette femme était extraordinaire pour faire apparaitre les canines du blond et les laisser gravées sur sa face. Il rigola légèrement à l’idée de faire une fête, mais fut intrigué quand elle parla de la jumelle de Caïn. Aussitôt, il se demanda pourquoi le monde avait osé créer un double féminin à cet homme. Rien que lui suffisait. Il était même de trop dans ce monde. Dans celui de Tomi. Mais malgré ses pensées égoïste, il était tout de même curieux de la voir.

« J’espère ne jamais avoir à faire à sa jumelle, si elle est du même tempérament que deux… Me battre avec un homme ne me plait pas, encore moins quand il s’agit de ton mari. Mais me battre avec une femme serait vraiment trop… » pensa-t-il à voix haute, soupirant. « Et pour la fête, bien sûr que j'en serai. Et puis bon. Une fête sans ton meilleur DJ serait vraiment un échec pour la boite. » ajouta-t-il en rigolant. A second soupir s’échappa. Passant sa mai sur son visage rougi, ses yeux se figèrent sur ses doigts tremblants. Les baissant vite pour les enfouir dans sa poche, il se souvint de la raison de sa présence : récupérer un pochon qui restait dans sa salle.

« Je… Dois y aller. J’ai besoin de quelque chose en urgence qui est dans mon… ancien bureau. Je ne sais pas dans quel état je vais le trouver mais bon… »