Plus les journées passaient et plus cette impression que tout m’échappait se faisait ressentir. L’absence de preuves pouvant m’innocenter me faisait perdre mes moyens et je paniquais de plus en plus, ne sachant désormais plus où aller ni quoi faire. J’errais. Au lieu de tout simplement me rendre à la justice qui me recherchait. Au lieu d’alléger ma peine en leur fournissant des preuves, je l’approfondissais en continuant de faire partie des abonnés absents sans raison valable. Tout le monde me pensait coupable. Tout le monde pensait que je fuyais mes responsabilités. Peut-être qu’ils avaient raison finalement, je fuyais en me donnant une pseudo raison. Ou j’avais peut-être peur de quitter définitivement les personnes qui comptaient pour moi. Je savais Antonella dans une passade toujours aussi mauvaise. Pas seulement par ma faute. Même si ça l’était beaucoup. Mais d’après son meilleur ami -qui était aussi d’ailleurs un facteur de sa mauvaise passe-, son petit ami avait disparu de la circulation. D’un autre côté, Abby semblait vagabonder et profiter de mon absence tandis qu’Adriel… Restait heureusement fidèle à lui-même. Mais je ne pouvais contenir mon inquiétude pour lui quand même, même s’il était le plus sage des triplés. Je remerciais le destin d’avoir au moins un frère avec la tête sur les épaules. Si donc d’un côté, je savais les triplés plus ou moins en sécurité désormais -à part vis-à-vis de leurs bêtises naturelles-, mes inquiétudes se tournaient aussi vers le sorcier dont j’avais quitté la chambre depuis plusieurs heures. Me dire que je n’aurai plus de ses nouvelles après m’être rendu me rendait fou et ne faisait qu’appuyer sur mon envie de continuer à fouler le bêton librement. Librement. Rien que ce mot me faisait sourire jaune.

Préoccupé par mon entourage en détresse, je n’avais même pas remarqué l’absence de mon habituel outil de camouflage : ma capuche sur la tête. Ainsi, quand je sentis un regard s’attarder sur moi, j’en sentis enfin cet oubli à travers un bond violent dans ma cage thoracique. La peur m’envahit alors plus vite que je n’aurai pu la contrôler, faisant aussitôt apparaitre une boule de feu dans chacune de mes mains dans un réflexe défensif. Dans le plus simple des contrastes, nos regards se croisèrent avec une certaine vivacité de la part du mien, pour ensuite me figer totalement.

Je le reconnu aussitôt. Avec toutes les photos que l’une de mes sœurs avait pu me montrer quand j’avais appris l’existence de son petit ami. Me laissant quelques secondes de répit pour accuser cette montée de pression soudaine, j’observai autour de nous avant de négligemment secouer mes mains pour faire s’évaporer les flammes qui s’y étaient créés. Il n’y avait aucun témoin dans cette rue. A part Théophile et son fameux corbeau. Sourcils froncés, je restais à ma place, n’osant pas vraiment m’approcher du porté disparu dans le cœur d’Antonella.

« Tu es… Théophile, c’est ça ? Qu’est-ce que tu fais là ? »

Cette question pouvait semblait bête. Mais pas pour quelqu’un qui le savait évaporé de l’institut et de la brune dont il partageait allègrement les traits.

Une question innocente ? Pouvait-elle l’être alors qu’elle me mettait aussitôt dans un embarras ? Les mots étaient sortis tous seuls avec un automatisme alarmant. Ma bouche avait été plus rapide que mon cerveau. En fait, ça n’était pas la question mais moi-même qui m’était mis dans ce pétrin. Ô grand pourquoi lui avais-je adressé la parole ? De ce que je voyais et de ce que j’entendais, j’avais l’impression de ne pas être le seul à être mal à l’aise par cette question, par la présence de cette autre personne, par cette situation tout court. Je regrettais amèrement de m’être arrêté, surtout face à l’absence pesante de réponse du blond. Finalement, ce fut son étrange corbeau qui réagit. J’aurai pu sourire si tout ça n’était pas si bizarre.

Quand j’eus sa réponse -et que j’entendis pour la première fois le son de la voix de mon beau-frère-, j’eus plusieurs secondes de surprise avant de sentir un certain agacement décelable dans la gestuelle de ma main. Il se baladait ? De manière aussi sereine ? Alors qu’il avait disparu depuis longtemps ? Qu’il y eût eu cet affrontement à l’institut, dans son foyer, là où se trouvait ma sœur ? En temps normal, je ne me serai pas privé de lui faire remarquer ma désapprobation mais… Au final, nous étions dans le même cas. J’avais abandonné Antonella moi aussi. Et depuis bien longtemps. Je n’avais pas le droit de lui en vouloir alors qu’il avait offert à l’une de mes sœurs quelque chose que je n’avais jamais vraiment su lui offrir depuis que nous habitions ensemble : Un peu de joie de vivre. Je ne pouvais rien reprocher à ce garçon qui au final, n’était qu’un gosse. Moi-même ne l’étais plus depuis bien longtemps et avait commis de bien pires erreurs que lui.

« E… »

Je ne le pouvais encore moins quand je m’aperçus que je ne pouvais même pas répondre à sa question. Je pris une pause, réfléchissant, avant de fermer ma bouche. J’étais pitoyable. Je ne savais pas quoi lui répondre. Je ne sais même pas si -à la distance que nous étions- il avait pu remarquer que j’étais prêt à lui répondre avant d’être stoppé par mon manque d’informations. Finalement, ce fut la fine observation du sorcier qui m’offrit une seconde chance de parler.

« En effet… Même quand j’étais à l’institut, on ne s’est jamais croisés… » avouai-je, conscient d’avoir un jour foulé les mêmes sols que lui, il y a plus d’un an. Nous avions partagé tellement d’années ensemble sans pour autant se croiser, se voir, s’identifier. Je fis un premier pas dans sa direction pendant que je lui répondais. Le premier fut hésitant. Le second aussi. J’avançais, poings fermés dans les poches.

« J’ai… Pas de nouvelles d’Antonella. Enfin, plus depuis que le Projet Shadow a attaqué. Elle va bien… Enfin, vis-à-vis de cet evenement. Après, par rapport à nous… »

Je ne voulais pas pointer que ce garçon du doigt, comme si je le rendais coupable d’un crime. Nous étions deux, au minimum, à être responsables du mal-être d’Antonella. Je m’arrêtais à un bon mètre du garçon pour garder un minimum de distance. Nous devions être discrets. Nous étions deux recherchés. Même si le garçon que j’avais devant moi n’était recherché que par ma sœur. Vu son caractère visible à présent, il se faisait tout aussi petit que moi. Le rapprochement était nécessaire. Si nous avions vraiment besoin de parler. Que pouvions-nous nous dire dans toute cette affaire ?

L’ambiance se réchauffait, mais pas de la meilleure des manières. Une vague de contrariété semblait s’être encrée en ce Théophile à la suite de mes paroles. Pourquoi ? Il n’était pas content que le propre frère de sa petite amie ne puisse pas avoir des nouvelles à donner de l’intéressée ? C’en était presque ironique. Son ton me contrariant légèrement, je restais pourtant de marbre. C’était un gamin. Tout comme Antonella. Bien qu’il semblât avoir quelques années de plus qu’elle. Tout au plus. Mais je les plaçais tous les deux dans la même catégorie. En partant de ce principe, je tentais de ne pas me faire avoir par les pulsions caractérielles, n’offrant que du dédain. Enfin, c’est ce que j’aurai voulu faire passer comme émotion de ma part si la venue de son corbeau ne me surprit pas. Je ne connaissais pas vraiment les animaux plus que ça et m’attendais presque à recevoir les foudres du blond à travers des coups de becs. Mais rien. Mon visage resta tourné vers lui plusieurs secondes, l’observant du coin de l’œil avant de me relaxer. Je ne comprenais pas l’action de ce Max, si je me souvenais bien des paroles de l’une de mes sœurs, mais finalement je ne sentais pas de réelles menaces de sa part. De son maître, vers lequel je finis par tourner la tête, par contre…

« Elle est à l’institut normalement. Ou en tout cas, elle n’est pas revenue à l’appartement. »

Tout comme Adriel et Abby. Tout comme moi-même en fait. L’appartement était à l’abandon, du moins, les quelques fois, rares et risquées, où je m’y rendais. Des affaires avaient cependant disparues. La plupart des affaires d’Abby avec ses trésors cachés. Quelques vêtements d’Adriel et tout ce qui concernait ses cours. La quasi-totalité des affaires d’Antonella, qui étaient maigres de base. L’appartement n’était déjà pas bien rempli, et le voir encore plus dénudé m’avait à de nombreuses fois pincé le cœur. Alors que j’étais l’unique coupable de ce dépeuplement. Je n’avais pas le droit de ressentir ce vide alors que tout était de ma faute. Mais finalement, c’était là mon châtiment. Un second coup d’œil vers le volatile et je repris.

« Pour la raison, tu as juste à savoir qu’elle ne souhaite plus me voir et je la respecte. »

Outre le fait qu’également, plus loin je me tiendrai d’elle, mieux ça serait pour nous. Peut-être que les pensées d’Antonella allaient dans le même sens, additionnée d‘une haine et d’un pardon impossible dans tous les cas.

« Il est légitime que je te renvoie la question. Surtout que tu as disparu sans raison pour ta part. »

J’avais la chance d’avoir cet argument : J’étais là quand elle n’allait pas bien, par sa faute. J’avais fait mon boulot de frère pour la dernière fois en la soutenant et en faisant des efforts dans notre relation. Mais tout ça, c’était bien avant qu’un certain sorcier ne me prive de ma famille. Sur le moment, je lui en avais voulu, puis j’avais compris que finalement, il ne pouvait pas y avoir meilleur ami pour l’un des membres de ma famille. En ce moment, je les savais ensemble, Lancelot soutenant Antonella de cette double trahison. Ça n’était pas lui qui avait détruit ma sœur en lui apprenant mon appartenance au Projet Shadow, mais c’était bel et bien moi. Je finissais par endosser l’entière responsabilité de cet échec familial. Je voulais voir si ce Théophile était capable d’assumer le mal qu’il faisait à ma sœur. Ou qu’il avait fait. J’esperais que ce premier chagrin d’amour soit loin, désormais.

« C’est moi qui ai soutenu Antonella quand elle n’allait pas bien par ta faute. »

Et j’aurai préféré le contraire.

De toute ma vie, je pensais ne jamais connaitre d’esprit plus en contradiction que celui d’Antonella. Jusqu’à présent. Leurs points communs me sautaient aux yeux. Leur côté indécis, perdu. Peut-être était-ce parce qu’à part ces deux-là et les deux autres adolescents de ma fratrie, je n’en connaissais aucun ? Vivre avec trois personnes mineures avait sû, en l’espace d’une année, supprimer ma vision positive sur les jeunes de leurs âges. D’un homme vaquant entre occupations et école, j’avais dû endosser le rôle trop rapidement d’un tuteur, me débectant presque de la race humaine, plus en particulier sur ceux baignant encore dans l’insouciance de la jeunesse. J’avais perdu toute la patience qui avait pu m’habiter un jour. Mais erreurs et tourments que j’avais pu vivre durant ces années juvéniles offraient à ce Théophile le droit de ne pas être autant jugé que l’aurait été ma sœur que nous avions partagée un jour.

Le battement des ailes du corbeau s’ajouta à la brise qu’offrait le garçon de manière maladroite. Je suivis le familier du regard quelques instants, m’évadant le temps de penser qu’avoir des ailes, ou bien sa forme, serait un magnifique don. J’étais encore loin des barreaux mais mes propres pensées me privaient déjà de ma liberté. Je continuais de garder les pieds sur terre, ramené par le sorcier et ses doutes. Je ne savais pas quoi réellement lui répondre. Parce que je ne savais pas quelle serait la meilleure réponse pour le bonheur de ma sœur. De lui, je m’en fichai. Si Antonella voulait le reprendre, si elle le rejetterait sans regret ou si elle le rejetterait avec peine. Je voulais juste son bonheur mais pour ça, je ne la connaissais plus assez bien pour le lui apporter.

« J’aurai tendance à te défendre de la revoir mais je suis loin d’être bien placé pour t’interdire quoi que ce soit. » J’avouai ma culpabilité ouvertement tout comme lui le faisait. « Si tu dois la revoir, vérifie juste que Lancelot soit là pour la soutenir si… Ton retour n’est pas le bienvenu. »