John n'était pas vraiment le seul à traîner la patte et tirer la tête ce midi. Pendant un moment, Jake s'était demandé s'il devait ou non respecter leur rendez-vous devenu quotidien avec le vétéran. Puis il s'était souvenu à quel point il avait de la chance d'avoir de la nourriture facile tous les jours. Ce serait idiot si ce n'est plus que de manquer cela, même s'il n'avait envie que d'une chose aujourd'hui, c'était de rester couché. Cette nuit avait eu lieu le nouvel an, comme chaque année. Et bien évidemment, ce n'était pas Jake qui allait en profiter. Faire la fête et des feux d'artifices, c'était toujours bon pour ceux qui en avaient les moyens. Cela dit, ça ne lui manquait pas. Certes, il profitait des feux d'artifices des autres, observant les milles et une couleur qui explosaient dans le ciel. C'était beau, mais sans plus. Allez, ça mettait de l'animation dans la ville deux fois l'an. Le truc, c'est que ça faisait un bruit pas possible. Pour le jeune homme qui avait tendance à rechercher le calme et la tranquillité, c'était un peu raté ce genre de soirée.

Mais ça encore, ça passait. Comme d'habitude, il prenait son mal en patience, il attendait dans un coin de rue que tout ceci se calme. Il observait et il attendait, comme d'ordinaire. Mais il n'avait pas prévu que les choses allaient réellement dégénérées. Visiblement sortis d'une fête bien arrosée, une bande de jeunes avait décidé de prendre part à ces artifices. Quelle a été la surprise pour Jake de voir qu'il avait été prit pour cible. Pour ainsi dire, il ne l'avait pas vu venir. Dans son coin, il ne s'occupait que de lui-même, comme d'habitude. C'est alors qu'un sifflement proche avait retentit, qu'une explosion avait surgit et qu'une vive douleur s'était emparée de lui. Prit de panique évidemment, il s'était sauvé sous le rire des coupables complètement ivres. Quelques immeubles avaient tremblé sur son passage, car en plus d'avoir été la cible d'un mortier, la frayeur avait été de taille que son pouvoir s'était déclenché. Jake s'était néanmoins enfui si vite qu'aucun dégât réellement visible n'était apparu, si ce n'est que des bouteilles de verre explosant sur son passage. Pour une fois, il n'avait même pas fait attention à son pouvoir, bien trop occupé à se planquer quelque part et retirer aussitôt sa veste noir qui avait prit feu. Le pétard avait explosé sur l'une de ses manches. Par chance, Jake était parvenu à éteindre les flammes avant que ça n'empire, mais la manche de sa veste, la manche de son haut ainsi que l'épiderme de son avant-bras en avaient subi les conséquences.

La brûlure n'était pas grave au point de nécessité les urgences, fort heureusement. Mais il se dégageait d'elle une douleur insoutenable. Même maintenant, à midi du premier jour de cette année, il la sentait encore comme si elle venait de se faire. Elle sera de loin la plus impressionnante cicatrice de son corps. Son père n'avait jamais pensé à le brûler en fait... Il n'avait pas pu fermé l'oeil de la nuit, autant à cause des festivités bruyantes que de la souffrance émanant de son bras. Il avait arpenté les rues pour trouver de l'eau à verser sur la plaie. Il en avait trouvé en cela avait été un grand soulagement, mais une fois retirée du précieux liquide, la douleur revenait immanquablement. Jake maudissait bien ceux qui étaient responsables de ça et c'était ainsi la raison pour laquelle il n'était pas sûr au départ de se pointer au rendez-vous avec John. Il s'était finalement décidé. Il n'avait pas très envie de lui poser un lapin. Pendant un temps, il se demandait même si John serait là. Avec le nouvel an, on ne savait jamais.

Mais il était venu. Les deux étaient présents comme si rien de s'était passé de leur côté. Jake était toujours là le premier, comme d'habitude. Il attendait à l'entrée de la ruelle, faisant tout pour paraître naturel et ignorer au mieux la douleur qui lui rongeait les chairs. Il vit au loin John. Au départ, il pensait juste que c'était un effet de la distance. Mais plus le vétéran s'approchait de lui, plus Jake ne pouvait s'empêcher de remarquer son teint blafard et la mine maussade qu'il affichait. En vérité, Jake ne s'en étonna pas plus que ça. Le nouvel an sans doute, se disait-il. Rien n'empêchait John de faire la fête après tout, il avait une vie.

- Ca va, répondit le jeune homme malgré les faits.

Il n'avait pas l'intention de faire remarquer quoi que ce soit à l'ex-militaire. Il n'aimait guère se faire remarquer et ce n'était pas maintenant que ça allait commencer, surtout connaissant le gaillard en question. Il savait néanmoins que les dégâts de cette nuit étaient loin de passer inaperçu mais sûrement qu'en ne mentionnant rien, John également n'y prêterait pas attention. Il paraît que c'est en paraissant normal que les autres vous trouvaient normal. Cela dit, Jake était tenté de pas appliqué cette évidence envers l'autre homme. Adossé contre le mur, il lui adressa un regard avant d'ajouter :

- T'as une petite mine...Ca a dû être festif cette nuit.


Ce qui n'était pas une surprise au fond. Ca avait été festif pour la planète entière.

On pourrait penser que ce n'était pas dans les habitudes de Jake de remarquer les états du vétéran. En réalité, Jake pouvait être un jeune homme parfaitement attentif sur ce genre de chose malgré les apparences. Le fait étant qu'il n'avait encore jamais eu l'occasion de voir John dans un état de ce genre. D'où sa remarque. L'adolescent récupéra la nourriture offerte par le vétéran, jetant un oeil sur l'avenue, jonché de déchets de feux d'artifices. C'était la même chose chaque année ça aussi. Mais pour ça, Jake s'en moquait bien, il était loin d'être un maniaque de la propreté.

C'est alors que John parla d'agression. Jake fut surpris. Mais pas de l'agression à vrai dire. Au nouvel an, tout le monde perdait la boule. Des agressions, ça se faisait à tout les coins de rue durant cette période. Il en était la preuve incarnée, et John aussi visiblement. Ce qui étonnait Jake, c'était que le vétéran n'ai pas pu se défendre. Peut-être avait-il été pris par derrière ? Fouillant dans le sac en plastique en haussant un sourcil, Jake ne pu s'empêcher de répliquer :

- Pour certains, ça l'est.

Pour les agresseurs entre autre. John lui avoua alors qu'il avait fini assommé. Eh beh, tout était permis dans les rues pour fêter la nouvelle année, même bastonner un ancien militaire. Les gens n'avaient pas froids aux yeux, parce que Jake savait de quoi John était capable. Il l'avait vu à l'action et c'était une des choses qu'il ne risquerait pas d'oublier de sitôt.

- C'est pour ça que tu n'as pas pu te défendre ? demanda t-il malgré tout, poussé par une certaine curiosité alors qu'il entamait son repas.

C'est alors qu'il remarqua qu'il n'y en avait qu'un, de repas. John n'avait pas de deuxième sachets avec lui. Peut-être avait-il déjà mangé avant de venir ?

- Tu manges pas ? fit néanmoins l'adolescent juste au cas où.

Après, peut-être aussi que John n'avait pas la tête à cela. Il était blanc comme un linge et paraissait à deux doigts de faire un malaise. En même temps, se prendre un coup sur la tête, ça devait laisser des séquelles, enfin, le jeune homme ne faisait là que des suppositions. Tant pis, lui au moins il pourra toujours se rattraper sur le repas du soir. Sur ce, Jake poursuivit son repas, non sans sentir l'oppressant regard observateur de John sur sa personne. Le vétéran remarqua à son tour quelque chose.

- C'est ça, répondit Jake le plus simplement possible.

Etre prit pour cible à explosifs n'était pas commun, si ce n'est unique pour le moment. Mais des Nouvel An, il en était à son troisième en tant que SDF et bien que ça restait effectivement pas des plus agréable quand on était dehors, le jeune homme s'y était plus ou moins fait. Sa première année de vagabond avait été la pire sur bien des domaines et il pensait que rien désormais n'aurait pu briser ce quotidien établi, jusqu'à cette nuit évidemment où le destin ne cessait de lui rappeler que même au fond d'un trou, on pouvait toujours creuser un peu plus.

John confirma les doutes, si on pouvait appeler ça comme ça, que Jake avait eu au sujet de l'agression dont il avait fait preuve. Eh bien, le Nouvel An n'aura donc épargné personne cette année. Tout ceci avait coupé l'appétit à John qui semblait sur le point de régurgiter ses sucs gastriques. Mais s'il pouvait éviter de le faire, ça arrangerait bien Jake qui n'avait pas très envie d'assister à ça. Il pourrait pas en vouloir à John de ne pas se contenir, surtout après ce qu'il venait de se prendre sur la tête mais ce n'était guère très appréciable surtout en plein repas. Repas qui s'achevait néanmoins rapidement, comme d'habitude, cette manie de Jake à manger avec un lance-pierre. Quand il aura fini, John pourra vomir autant qu'il veut sur le macadam, ça ne le touchera plus, sauf peut-être en s'interrogeant sur la santé dégradante du vétéran.

Lorsque John insista davantage sur l'adolescent, celui-ci aurait dû voir le coup venir, bien qu'il aurait aimé que John passe outre, comme il prenait parfois l'habitude de le faire. Si John ne faisait rien pour lutter contre le mal qui l'habitait en ce moment, c'était tout le contraire de Jake qui cherchait absolument à le dissimuler, ce qui n'était guère évidemment quand on avait la sensation d'avoir encore un membre en flamme. Raison pour laquelle d'ailleurs il usait de ce membre le moins possible, tenant son sandwich avec l'autre en parfait état. Le moindre mouvement, muscle interpellé amplifiait la douleur de la brûlure. La douleur n'était pas une amie de la patience. Aussi Jake ne se trouvait pas dans la possibilité d'être très serein sur la question et préféra mettre les points sur les i.

- Exact, alors laisse tomber, répliqua t-il aussitôt avant d'achever son dernier morceau de pain.

Outre la patience, la douleur n'aidait pas plus dans l'amabilité. De plus, c'était la première fois qu'il se retrouvait dans ce genre d'état face à John. Un peu comme John se retrouvait dans le sien face à Jake. Jusque là, jamais l'un ou l'autre n'avait été réellement blessé depuis leur rencontre. Bon, vrai que Jake avait déjà eu droit à une bonne baston devant le vétéran, soit. Mais à part des bleus et des douleurs qui avaient sitôt fait de disparaître par la suite, il s'en était rapidement remis. Et c'est malheureux de devoir une fois de plus utiliser cette comparaison mais tel un animal, Jake ne dévoilait pas ses souffrances. Il souffrait en silence et s'il devait mourir un jour, pour sûr qu'il se cacherait comme un chat agonisant. Le monde de la rue faisait ressortir les instincts les plus ancestraux.

Sûr que manger de la sorte n'était pas une bonne chose pour l'estomac. Mais là encore, c'était une question d'habitude. Habitude prise par Jake mais aussi par l'estomac car par chance, ce dernier n'avait encore jamais émit la moindre réticence à être traiter de la sorte. Ca pouvait arriver que Jake finisse un peu ballonné après avoir avaler quasi sans mâcher un repas bien copieux, mais c'était le genre de gêne qui disparaissait après une bonne sieste. Côté digestif, il n'y avait rien à dire, il avait des viscères en béton. Il travaillait ça depuis plus longtemps que son temps dans la rue. A cause de son père, dès qu'il avait accès à de la nourriture, il ne perdait pas de temps non plus des fois. Même s'il venait un jour à prendre la décision de se calmer au niveau de sa vitesse de consommation, il lui faudra sûrement plusieurs tentative pour se débarrasser de cette manie ancrée en lui.

La nourriture était un moyen comme un autre de cacher un peu la souffrance sur son visage, ou dans son regard. Mais à présent qu'il avait terminé, le jeune homme se devait de se concentrer sur autre chose pour essayer de dissimuler tout ça. Peut-être même à mettre un terme à ce rendez-vous plus tôt que prévu si nécessaire. Ce ne serait pas une nouveauté pour John si l'adolescent venait à prendre congé sans raison apparente de toute manière. L'ennui étant que le vétéran demanda malgré tout ce qui n'allait pas. Enfin, c'était ça qu'il demandait d'une manière bien étrange. "Tu t'es fais quoi". Rien. Jake ne s'était rien fait, encore heureux, il n'était pas partisan de l'automutilation. Mais il n'était pas con non plus et avait malgré tout compris le sens de la question, qui lui déplaisait d'ailleurs.

- Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans "laisse tomber" ? demanda t-il, d'une retenue sarcastique.

En vérité, accablé par la douleur, il avait choisi d'être sarcastique, sentant qu'il aurait pu être bien plus cinglant que ça. Ce n'était pas comme si John ne connaissait pas cette part de sa personnalité. Mais le jeune homme n'avait aucune envie d'être mauvais envers lui. La souffrance avait tendance à faire dire ou faire des choses que l'on ne pense pas. Un chien qui souffre pourra supplier toute l'aide du monde possible, il mordra quand même le premier essayant de lui apporter cette aide. D'un geste, Jake jeta le sachet plastique dans la poubelle à ses côtés. Bah, ce n'était pas parce qu'il vivait dans la rue qu'il se permettait de polluer les avenues. Justement, la rue était son foyer alors autant avoir un peu de respect. C'était déjà pas terrible quand on y jetait rien mais alors si tout le monde y balançait son bazar, on en est pas rendu.

Il pensait prendre finalement congé comme prévu. Moins de temps il passerait avec John, moins ce dernier aurait des chances de découvrir les faits. Jake se décolla alors du mur de la rue avant d'ajouter :

- Tu ferais mieux de rentrer souffler, t'as une tête à faire peur à un mort.

Jake haussa les épaules aux remarques de l'homme. Mais c'est vrai que les morts, c'était flippant. Et Jake pensait cela même s'il ne croyait pas aux fantômes. John, une fois n'était pas coutumes, n'avait pas l'intention de lâcher le morceau, au grand dam de l'adolescent. Généralement, le jeune homme se contentait de se taire ou de signaler au vétéran qu'il n'avait pas l'intention d'en dire d'avantage. Des fois ça marchait, et d'autres fois non, pour des raisons inconnues, il finissait par tout déballer. Mais aujourd'hui la douleur l'empêchait d'avoir cette même patience et cette même habilité à dissimuler ce qui n'allait pas. Et de ce fait, John, qui n'était pourtant pas plus au mieux de sa forme, avait vu la faille. Pour ainsi dire, les crans du jeune New-Yorkais lâchèrent rapidement.

- C'est pas tes affaires, lança t-il à bout de tolérance, je te harcèle pas avec ton crâne en miette moi !

C'était pas faute néanmoins de rester attentif à l'état général de l'ancien soldat. Outre l'idée de faire peur à un mort, on pouvait trouver de quoi s'en faire devant son visage livide. Mais il eut vrai que Jake, à l'inverse de John, n'était pas du genre à insister sur ça, sauf à la limite, s'il s'agissait d'une personne très proche. Cela dit, à part sa mère, Jake n'avait jamais eut de proches pareils.

Une fois encore, si Jake aurait pu faire autrement que de répliquer de la sorte au vétéran, il s'en serait passé. Les mots dépassaient rapidement ses pensées sous l'effet de la douleur. Elle se refusait à s'estomper, cette douleur qui le dévorait comme si la brûlure venait d'être causée. Son avant-bras entier lui faisait souffrir le martyr. Jake n'avait qu'une envie, se planquer loin des regards pour pouvoir enfin cesser de retenir son ressenti face à son membre endolori. Il se surprenait déjà à avoir pu le cacher jusqu'à présent. Mais il savait que très vite, cette force allait faiblir. Aussi se détourna t-il du jeune soldat.

- Sur ce, fit-il en serrant les dents, une veine palpitant sur sa tempe, à une prochaine fois.

Il se hâta de sortir du champ de vision du soldat, sentant qu'il ne tenait plus. Il s'enfonça dans la ruelle à pas pressé et n'alla pas plus loin que le premier tournant afin d'être hors de portée des regards indiscrets de la grande avenue. A ce moment là seulement, il pu lâcher un gémissement de douleur. Avec une précaution sans faille, il parvint également à retirer sa veste pour en dévoiler son bras mal en point et pas très beau à voir en vérité. Peau ouverte, abîmée d'anciennes cloques, brûlée, et seulement à moitié cicatrisée, rouge sans saignement néanmoins. La plaie apparaissait sans problème car la manche de son haut avait été entièrement détruite par les flammes. Jake souffla profondément, comme si cela allait apaiser son mal et se laissa glisser contre le mur pour s'asseoir à terre, tenant son bras sur ses genoux pour lui éviter tout contact douloureux avec l'environnement.

Cette douleur, il l'a traînait depuis qu'elle avait été faite. Est-ce qu'un jour seulement elle cessera ? Il l'ignorait. Pourtant il en avait subit des choses, des moyens d'être blessé de toutes sortes, mais le feu n'en faisait étrangement pas parti. Il ne s'en plaignait pas cela dit. Heureusement que son père n'avait jamais pensé à utiliser un briquet contre lui. Il avait déjà usé de douches glacées à t'en faire stopper le coeur, mais n'avait jamais fait mal par la chaleur. La douleur était plus ou moins nouvelle du coup. M'enfin, quand ça faisait mal après, Jake ne cherchait pas dans les détails non plus, le résultat était toujours le même. Quoi que pour cette fois, cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas eu aussi mal. Même quand son père le battait, il avait la chance d'avoir eu sa mère derrière pour l'aider à passer le cap, pour soigner ses blessures et autre. Mais il devait se coltiner cette plaie ouverte en traînant dans la rue. C'était loin d'être apaisant ou hygiénique.

Il avait mal, certes, mais ce n'était pas son genre de l'exprimer à haute voix, même cacher. Il gémissait, mais il se contenait encore un peu. Juste un peu moins que lorsqu'il était en compagnie de John. La douleur lui remontait sans pitié jusqu'au cerveau comme des décharges électriques. Le jeune homme avait posé sa veste à terre, en guise d'isolant entre lui et le macadam de la petite rue obscure. Il avait soigneusement retroussé ce qui restait de sa manche brûlée afin d'être sûr que rien n'entre en contact avec la brûlure. Non pas qu'il songeait à une quelconque infection, juste qu'il voulait absolument éviter d'amplifier la douleur, sachant qu'un simple coup de vent suffirait pour ça. D'une main, il serrait le poignet de l'autre dont le bras était blessé, la blessure n'allait pas jusqu'à ce niveau là. Cela ne servait à rien, à part essayer de contenir son ressenti vis à vis de sa souffrance. Un peu comme quand on mordait dans quelque chose pour éviter de hurler.

Soudain, la silhouette familière et pas bienvenue de John fit irruption au dessus du mutant. Celui-ci eut un mouvement de sursaut, s'en croyant pourtant débarrassé. Furieux et surprit, il lâcha :

- Pas vrai t'es encore là toi !

Il pensait pourtant avoir été clair et avait prit l'habitude de partir lors de ces rendez-vous sans rien ajouter de plus. Il aurait dû aller plus loin, s'il avait su. Mais il ne s'était pas attendu à ce que John le file cette fois-ci. Pas moyen d'être tranquille dans cette ville. Jake remarqua le regard de John. Bon bah c'était fichu pour cacher ça maintenant. Ce n'était pas l'adolescent qui en était ravi, loin de là. Il jeta même un regard noir à l'homme, chose qu'il n'avait pas pour habitude de faire à vrai dire. Il agissait toujours sous l'effet de la douleur. Et peut-être un peu de la frustration cette fois aussi.

- Je ne me suis rien fait du tout ! répliqua le jeune homme.

- Sais pas. Ailleurs, répliqua le jeune homme, las.

Il avait pris congé après tout, comme d'ordinaire donc comme d'ordinaire il avait pensé que John allait continuer son petit bonhomme de chemin pour retourner à sa vie. Jamais il n'aurait pensé qu'il manquerait à cette règle aujourd'hui. Quoi que...Evidemment, John proposa son aide. D'une certaine manière, c'était ça que Jake avait comprit du moins. Ce n'était bien évidemment pas la première fois qu'il proposait cela, mais les autres fois, c'était très différent. Il n'y avait pas une blessure pareille en jeu. Par ailleurs, la seule fois où Jake avait accepté l'aide de John, c'était sur les repas que ce dernier lui offrait chaque jour. Tout avait commencé par un Jake affamé qui s'était laissé tenté par l'attrait de la nourriture le premier jour. Le reste s'était fait tout seul. Enfin, ça restait moins grave que le cas présent.

- M'aider ? répéta le jeune homme toujours aussi hargneux, quoi, t'as apporté ta potion magique avec toi peut-être ?

Même en colère et prisonnier d'une importante douleur, il trouvait encore le moyen de la faire sarcastique. Mais la question était fondée. Il doutait fortement que John ait quoi que ce soit de suffisant sur lui pour une plaie pareil et sans nul doute qu'il était hors de question pour Jake de poser un pied dans un hôpital. Il le faudrait sûrement au bord de la mort pour qu'il n'ai pas la force de résister à un aller simple aux urgences, mais c'était sûrement la seule éventualité.

Après, c'est sûr que c'était idiot de souffrir inutilement et Jake était sûrement très bien placé pour le savoir. Il avait passé sa vie à souffrir sans raison. Pas comme s'il avait le choix, contrairement à aujourd'hui. Jake était loin d'être masochiste et d'adorer la souffrance, pas même celle d'autrui. Il n'était pas sadique non plus. Après, quand il lui arrivait une bricole, il se débrouillait toujours avec, se disant que ça allait passer de toute façon. Mais jamais encore il n'avait eu à faire à la situation actuelle, il devait le reconnaître.

- J'ai été pris pour cible durant un lancer de pétard. Heureux ? lâcha t-il alors toujours aussi furieusement puisque John tenait tant que ça à le savoir.

Pour la suite et les détails, Jake lui laissait néanmoins le soin de le deviner. Le feu qui prend et tout ce qui allait avec. Outre la douleur engendrée, c'était également plutôt humiliant de l'avoir dit. Cela ne ferait que prouver à nouveau à John à quel point Jake était une victime et un lâche car il n'avait bien sûr pas chercher à se défendre et avait fui comme un chat apeuré. Il n'était sûrement pas le seul SDF a avoir subi ça néanmoins, mais peut-être était-il le seul à avoir prit feu.

Potion magique, c'était la première chose qui lui était passé par la tête pour alimenter son sarcasme. Il aurait pu sortir "remède miracle", ça aurait été synonyme. Après les détails, il s'en moquait autant que John. Ce dernier lui parla alors d'anti-douleur. Quelque chose d'évidemment plus accessible qu'un éventuel remède miracle. Enfin, quand on était dans l'état de Jake, à ce niveau là, même de banals anti-douleur pouvaient faire office de remède miracle au final. Le peu de choses paraissaient beaucoup quand on avait rien à la base. Cela dit, ça ne changeait rien à la remarque du jeune homme, qui la renouvela d'une autre manière :

- Ouais, bah tu vas me dire que tu te trimbale avec ta pharmacie partout où tu vas ?

S'il savait. Même il ne le savait pas et ne s'en doutait pas. Il y avait encore énormément d'aspects de John que le mutant ne connaissait pas. Il était même très probable pour que John en sache plus sur lui que lui en savait sur John. Niveau comportement uniquement. Parce que niveau histoire, c'était l'inverse, car John n'avait jamais rechigné à lui raconter sa vie. Mais niveau comportement, Jake était moins observateur que le soldat.

C'est vrai, Jake avait eu de la chance de ne pas avoir brûlé entièrement, ou même de s'être fait sauter la figure avec tout ça. Vu comme ça, il pouvait aussi penser qu'il avait eu de la chance. Soit. Cela dit, ça ne restait pas un bonheur ce qu'il avait ramassé malgré tout. Un seul pétard avait suffit à lui brûler le bras et à le faire fuir. Les choses auraient pu très mal tourner s'il était resté ou s'il n'avait pas retirer sa veste à temps. Niveau réaction, Jake avait de bons réflexes quand il s'agissait de sa survie.

Lui faisant part de sa science, John s'improvisa médecin. Jake s'en moquait plutôt pas mal du genre de brûlure à laquelle il avait droit. Hydrater, il avait tenté en versant de l'eau dessus, surtout parce que c'était d'un grand soulagement, mais ça ne durait pas longtemps et il n'avait pas forcément de l'eau à l'infini pour ça. Pour le soleil, ce n'était pas non plus un problème. Le jeune homme était partisan des ombres et préférait passer le moins de temps visibles en journée. Quand à faire attention, Jake le faisait depuis le début, afin d'éviter de réveiller plus de douleur. Mais deux ou trois semaines avec ça, ça allait être très long et difficile. Mais il s'y résignerait de toute manière. Que faire de plus après tout ? Il se résignait toujours à accepter toutes les crasses que le monde pouvait lui offrir de toute manière. Il ne répondit rien de plus alors que John pensait qu'il n'aurait pas de cicatrice. Ca aussi, Jake s'en moquait comme du temps qui faisait sur Pluton. Son corps était déjà parsemé de mille et une cicatrice alors une de plus ou de moins, cela n'allait vraiment rien changer à sa vie.

- Tu parles d'un soulagement, maugréa t-il.

Les cicatrices le marquaient à vie. Elles ne se voyaient pas, c'est tout, cachées par les vêtements, dans son dos, aux épaules et au poitrail. Des cicatrices de toutes sortes, formées par différents accessoires. Tout ce que le père avait eu à porté de main dès qu'il avait pris la décision de se défouler sur son rejeton. Mais outre les marques physiques, les cicatrices psychologiques étaient également présentes, voire même encore douloureuses et tout aussi ineffaçables que les autres. Étrangement, c'étaient celle qui étaient le plus visibles de l'extérieur, trahi par le comportement du garçon.