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Cela faisait un moment qu'elle avait intensifié son rythme de promenades au bord de la rivière. L'eau coulait comme à l'époque, et c'était probablement l'élément du paysage qui avait le moins changé, et pourtant, il ne restait pas la moindre goutte de l'époque où elle marchait déjà le long de la berge quand elle avait besoin de se vider l'esprit.
Il y avait beaucoup moins de ponts à l'époque.
Elle grimpa que l'un d'eau, et le parcourut jusqu'à s'arrêter au milieu, poser les avants-bras sur la rambarde, et observer l'horizon. De la ligne où le soleil ne tarderait pas à se coucher, ses yeux glissèrent doucement en contrebas vers le fleuve, comme s'ils avaient été fatigués de se maintenir en hauteur. Elle était fatiguée, d'ailleurs. Elle se sentait seule et dangereusement inadaptée dans ce nouveau monde. Elle payait le prix de son terrible échec, de n'avoir pas réussi à mettre son plan à exécution. Elle avait été trop faible. Elle avait trop tardé. Elle ne pourrait jamais réparer cette faute... Elle devrait suivre pour toujours le destin d'un whitelighter, ce qui l'empêcherait sûrement de retrouver et de partager enfin à nouveau la vie du seul être qu'elle avait jamais vraiment aimé de toute son âme. Elle se sentait vide.
Mais il n'était pas certain qu'elle ait à le subir éternellement...
Elle fixait toujours les vaguelettes qui se dessinaient contre les piles du pont, en bas, loin en bas, plusieurs mètres, peut-être une dizaine, ou deux... Elle ferma les yeux un instant et sentit une larme couler sur sa joue. Elle ne tenta pas de l'essuyer, le geste lui paraissait tellement inutile, tellement épuisant, tellement futile...
Le clapotis de l'eau l'attirait. Plongée dedans, elle n'aurait plus à entendre les voitures passer. Il y ferait agréablement frais. Le contact contre sa peau serait doux.
Elle se pencha légèrement. Le pont était bien trop haut pour qu'elle espère vraiment garder conscience lors du choc contre la surface.
Ses pensées tourbillonnaient dans sa tête, presque trop rapidement pour qu'elle-même puisse les saisir.
Elle enviait la belle et douce Ophélie, ou la dame de Shalott, et toutes ces femmes imaginaires qu'adoraient peindre les artistes de son époque. Elles n'avaient eu qu'à attendre que leur destin les rattrape et mette fin à leurs souffrances. Elle aurait aimé tomber dans la rivière depuis les branches d'un arbre, éparpillant partout autour d'elle un bouquet de fleurs sauvages, et se noyer sans même se rendre compte que les notes mélodieuses qu'elle fredonnaient ne résonnaient plus.
Mais comme la précieuse robe d'Ophélie en s'imbibant d'eau la traînait vers le fond, Leigh sentait comme un poids qui pesait sur son dos, fermait ses paupières et lui donnait le tournis.
Elle ne se rendit compte qu'elle tombait que lorsque ses pieds quittèrent la passerelle.
Elle n'eut pas la sensation d'une chute, elle aurait aussi bien pu flotter lentement à travers les airs vers la surface de l'eau, qu'elle percuta à toute vitesse.
Le choc l'étourdit et la réveilla à la fois. Elle ouvrit les yeux et, par instinct, battit des bras, et pendant un bref instant, sa tête fut maintenue hors de l'eau comme s'il lui restait quelque chose à perdre en s'enfonçant sous la surface et en laissant le liquide frais remplir et laver ses yeux, sa bouche, ses oreilles, son nez, sa gorge et ses poumons.
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Elle n'avait rien à perdre.
Ce fut la dernière pensée qu'elle eut avant de se mettre à couler, et très rapidement à suffoquer alors que l'eau remplaçait l'air le long de sa trachée. La sensation était atroce, mais elle avait le mérite d'exister... Tout, plutôt que cette impression de n'être qu'une coquille vide et insensible condamnée à errer dans l'ennui le plus profond pour toute l'éternité. Elle avait beau avoir des spasmes comme pour vomir l'intrusion qui l'empêchait de respirer, elle préférait être malade et agoniser ainsi que de continuer. Elle ne put néanmoins se retenir de grimacer et de crier, expulsant une dernière série de bulles, quand la douleur dans sa poitrine, à force d'augmenter, lui donna l'impression qu'elle allait imploser. Ses battements frénétiques de bras et de jambes, toujours réflexes, se faisaient de moins en moins vigoureux, de plus en plus lents.
Des points brillants apparurent devant ses yeux qui papillonnaient, sa vision se flouta et peu après, tout devint noir.
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