Crédit : Caryfry.tumblr.com

Voir apparaître quelqu'un à quelques mètres de soi n'est pas quelque chose qui arrive tous les jours dans la vie d'une personne normale, ou même d'un être surnaturel peu sociable comme l'était Leigh. Mais il fallait croire que la normalité n'ait jamais été et ne soit pas destinée à être un jour au programme pour la pauvre petite.
Alors qu'elle tentait de rentrer tranquillement de son cours de confection de patrons, un individu qu'elle identifia immédiatement comme indésirable, sans vraiment savoir pourquoi (une veste noire et une cigarette au coin des lèvres ne prouvaient rien, après tout), se matérialisa devant elle. Elle ne put s'empêcher de sursauter, mais elle réussit au moins à piler pour ne pas lui rentrer dedans. Ou s'approcher d'un centimètre de plus que strictement nécessaire. Cet homme ne lui inspirait qu'hostilité, mépris et crainte, un mélange d'émotions que malgré son caractère parfois mitigé, elle n'éprouvait pas régulièrement. Se retenant de reculer, peu désireuse de montrer le moindre signe de faiblesse, elle n'eut pas à attendre bien longtemps pour que le nouveau venu manifeste la raison de son intrusion.
Qui la laissa scotchée (elle avait découvert le scotch récemment avec beaucoup d'enthousiasme). Elle fit de son mieux pour maîtriser ses yeux qui se seraient bien volontiers écarquillés comme des soucoupes et ses sourcils qui tenaient à se froncer d'un air méfiant dans le même temps. Elle obtint une réussite méritoire, et l'expression ressembla plus à un tic qu'à une véritable démonstration d'émotions. Elle resta interdite une seconde avant de se lancer dans l'entreprise ardue de fournir une réponse à l'énergumène. Malgré ses précautions, sa voix trembla légèrement quand elle lui lança en retour :

"Qui êtes-vous ?"

Et elle se cassa franchement quand elle poursuivit :

"Vous le connaissez ? Vous savez où il est ?"

Non, non, stop, on s'arrête tout de suite de poser des questions, de montrer sa vulnérabilité, Leigh, ne sois pas stupide...

"Est-ce qu'il va bien ?"

Raté.
Elle se flagella intérieurement pour son idiotie. Si elle avait été un observateur extérieur, elle aurait même sûrement levé les yeux au ciel, et peut-être poussé un petit soupir exaspéré, mais quelque chose lui disait qu'elle pouvait très bien laisser ce rôle à son tout nouvel ami.
Mal à l'aise, elle jeta un regard de droite et de gauche en déportant son poids sur une jambe, puis l'autre, les lèvres pincées comme si ç'avait la moindre chance de l'empêcher de l'ouvrir encore.
Elle se força à poser une question pertinente, comme pour se rattraper enfin :

"Pourquoi venir me voir ce soir ?"

On était seulement en fin d'après-midi pour l'habitant moyen de Jacksonville, qui mesurait le temps à la concentration de touristes sur les plages. A cette heure, ils n'avaient pas encore été chassés par la fraîcheur et le manque de lumière. Elle, en revanche, se fiait toujours au mouvement du soleil pour calculer le déroulement de sa journée, comme n'importe quel originaire d'une région rurale à son époque, et l'astre solaire se rapprochait effectivement de l'horizon, dardant encore quelques rayons courageux entre les gratte-ciels.
Pour se donner un peu plus d'assurance, elle serra contre elle le livre qu'elle rapportait de l'université. Elle n'avait que quelques minutes à pied pour l'atteindre et ne comprenait pas vraiment pourquoi elle investirait dans un sac. Elle avait toujours transporté ses affaires avec un panier, et ça lui convenait très bien, seulement, elle ne trouvait pas de modèle qui ressemble à ce qu'elle recherchait dans les boutiques où elle avait osé mettre les pieds.
Bref, la vie moderne était déjà bien assez complexe à maîtriser sans qu'on s'amuse à se téléporter sur son chemin alors qu'elle était fatiguée par une longue journée de cours, merci bien.
...
Mais s'il avait des informations sur lui...

Partagée intérieurement, elle ne savait sur quel pied danser en attendant les réponses de l'étrange inconnu.

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Il n'avait pas spécialement l'air d'écouter ce qu'elle disait, mais il ne montrait pas de signe d'incompréhension non plus. Il s'amusa à la faire attendre en se rongeant les sangs le temps de fumer une nouvelle fois quelques millimètres de sa cigarette. Ce comportement faussement dédaigneux lui faisait furieusement penser à son époux. Lui aussi appréciait ce genre de petit embêtement parfois mesquin. Elle attendit aussi patiemment qu'elle en était capable, se contentant de froncer les sourcils progressivement et de prétendre qu'elle ne retenait pas sa respiration et que son ventre n'avait pas décidé de faire des noeuds, lui donnant envie de vomir. Elle crut qu'elle allait vraiment finir par ne plus pouvoir se retenir de... Faire quelque chose, le saisir par les épaules et le secouer, partir en courant, ou se trouver mal. Eventuellement, lui crier dessus suffirait.

Il prit la parole. Enfin.
Elle pinça les lèvres et lui jeta un regard sombre par-dessous ses cils. Elle avait conscience du remue-ménage qu'elle causait dans les milieux bien ordonnés des démons, où l'information circulait à une vitesse vertigineuse, plus vite encore peut-être que les rumeurs du temps de Cow Ford. Elle aurait dû se moquer éperdument du mépris amusé du démon, mais elle ne pouvait s'empêcher de se sentir vexée. Il avait une manière de sourire en coin absolument odieuse. Quelque chose au plus profond de ses entrailles lui hurlait que plus tôt elle cesserait d'être en sa présence, mieux ce serait.
Elle se retint de lever les yeux au ciel quand il questionna ses motivations et l'intérêt de ses recherches. Elle ne s'attendait pas à beaucoup de compréhension et encore moins de l'empathie, mais devrait-elle vraiment expliquer pourquoi elle souhaitait retrouver un être cher ? Son contact perdit encore quelques degrés dans son estime.

"Il me semble même m'être amusé de lui pendant que tu étais morte"

Elle se figea, soudain glacée. Sa mâchoire se contracta et elle fut parcourue d'un frisson de la tête aux pieds. Elle faisait toujours de son mieux pour ne pas montrer d'émotions face au démon, mais il avait réussi son coup s'il comptait l'horrifier. A quoi jouait-il ?!

"Je pourrais t'aider à revoir, si tel est ton désir"

Cette fois, seuls ses yeux brillèrent d'un éclat revigoré. Entendre ces mots était du miel à ses oreilles. Mais elle se doutait bien que ça ne serait pas aussi simple. Elle ne lui faisait aucune confiance, et les probabilités qu'il soit en train de mentir comme un arracheur de dents était si haute qu'elle ne voulait même pas tenter de l'estimer.
Elle s'apprêtait à le mettre au défi de prouver ses dires lorsqu'il atteint le point par lequel elle devait en passer avec la plupart de ceux de son espèce au cours de la discussion. Il réclama une contrepartie. Elle soupira en détournant les yeux, lasse de devoir constamment émettre des réserves strictes à ce sujet. Ne pouvaient-ils pas comprendre que la plupart de ceux qui avaient la moindre idée de leur nature et de leurs actes ne consentirait jamais à commettre une telle imprudence ? Quel intérêt avait-elle à s'endetter ainsi lorsqu'elle risquait de compromettre le futur même qu'elle cherchait à créer ? Elle croisa les bras et releva le menton, dans une attitude de bravade qui faisait toujours rire son compagnon, à l'époque. "Leigh, tu mesures au moins quinze centimètre de moins que moi, n'essaye pas de m'impressionner, tu es adorable mais ridicule."

"Je ne n'accepterai aucun contrat. Et il est inutile d'insister. De toute manière, vous ne vous êtes pas présenté, et vous ne m'avez donné aucune certitude quant à votre capacité à m'apporter ce que je recherche. Vous vous amusez peut-être beaucoup, mais si vous êtes là pour me faire perdre mon temps, je vous saurai gré de m'en informer afin que je puisse rentrer chez moi me reposer comme je devrais être en train de le faire."

Pour un peu, elle aurait émit un rire hautain et cristallin alors qu'il se vantait d'être la personne rêvée pour retrouver son amant disparu. Mais intérieurement, elle aurait pu hurler de rage ou s'écrouler sur le bitume et se mettre à pleurer jusqu'à ce que le monde s'écroule autour d'elle. Il se permettait de lui parler aussi familièrement, d'un ton presque guilleret, alors qu'il avait eu son mari entre les mains, qu'il lui avait probablement fait du mal si la lueur mauvaise qui brillait au fond de ses yeux éclairait le sens des paroles euphémiques qu'il avait prononcées un peu plus tôt. Etait-il fier de son rôle de bourreau ? Elle aurait voulu pouvoir lui cracher au visage.
Mais en même temps, elle se sentait détachée de cette colère. Comme si elle appartenait à une version d'elle qui n'existait plus que sous forme de souvenir, le fantôme de ce qu'elle avait été qui ne pouvait être effacé des tréfonds de son esprit.
Extérieurement, elle ne montra rien de plus qu'un léger tic d'agacement. Elle laissa malgré tout échapper une unique phrase d'un ton amer et sec, beaucoup moins intense cependant que ce qu'elle ressentait.

"Parce que vous êtes la personne en charge de le torturer ?"

L'aurait-il suppliée, elle ne lui aurait pas accordé la moindre des requêtes qu'il aurait pu formuler. Pour une raison qui lui échappait, peut-être était-elle influencée par son charisme certain, finalement, elle le laissa cependant continuer lorsqu'il se promit d'exposer la preuve irréfutable de sa bonne foi.
Elle frissonna lorsqu'il lui saisit la main et la porta à ses lèvres, embrassant réellement ses phalanges comme un malappris alors que tout gentilhomme savait qu'il ne fallait surtout pas prendre l'expression "baisemain" au pied de la lettre, et qu'une salutation correcte n'impliquait de contact qu'entre les mains des deux participants. Elle eut un mouvement de recul, mais ne put dérober que l'épaule du bras opposé à celui qu'il avait attrapé. Son visage exprimait à la fois écoeurement et perplexité. Au même moment, son coeur se mit à battre un rythme infernal et elle eut l'impression angoissante que quelque chose qu'elle savait pourtant pertinemment lui échappait.



"Je me nomme Lucifer. Enchanté."








Elle resta un instant figée, comme si son esprit avait demandé à son corps de se mettre en pause le temps qu'il puisse interpréter l'information qu'il venait d'acquérir. Très lentement, son visage se mit à se décomposer. Ses yeux s'ouvrirent largement, ses lèvres se séparèrent et un tremblement traversa son menton. Son teint était devenu cendreux, et elle ne respirait plus.
Dans l'ensemble, ces réactions ne s'effectuèrent pas de manière brutale, et restèrent limitées en terme d'amplitude. Ses efforts pour les contrôler furent tout de même apparents lorsqu'elle prit une soudaine inspiration, rapidement suivie d'une autre, et ainsi de suite en continuant aussi vite que si elle venait de courir un long moment à perdre haleine. Elle releva légèrement le menton alors que sa gorge se tendait, l'empêchant de déglutir, lui rappelant de mauvais souvenirs tels la brûlure d'une corde qui frotte contre la peau tendre et compresse la trachée un bref instant, avant le craquement retentissant et le noir total.

Il la regardait avec une ironie infinie, appréciant visiblement la situation comme un met savoureux.
Elle comprenait maintenant qu'elle se soit autant méfiée de lui. Elle devait bien avoir un sixième sens qui tentait désespérément de l'avertir du danger.
Du danger... Mais aussi de la chance. Il disait vrai, si quelqu'un pouvait lui rendre son époux, c'était bien lui. Toute la question était de savoir ce qu'il voudrait obtenir en échange. Elle préféra attendre un moment afin d'être certaine que sa voix ne la trahirait pas, respirer à une vitesse normale, avaler sa salive comme une personne qu'on n'était pas en train d'étrangler, et cesser de trembler nerveusement.
Elle se lança, évitant son regard autant qu'elle le pouvait, réfléchissant à toute vitesse dans l'espoir de trouver un argument qui le ferait envisager d'accomplir ce qu'elle souhaitait tout en ne s'avançant pas trop pour le moment.

"Vous... Vous pourriez donc très bien le renvoyer sur Terre. Lui confier une nouvelle mission. Après tout, c'est pour cela que vous avez des serviteurs, n'est-ce pas ? Ils ne vous sont pas d'une grande utilité autrement."

Vivre plusieurs années aux côtés d'un démon avait cet avantage qu'on apprenait très vite à utiliser n'importe quels arguments, tant qu'ils avaient une chance de faire mouche. Après tout, elle avait la certitude à présent que de pousser quelqu'un à accomplir une bonne action, même pour de mauvaises raisons, serait approuvé par le Seigneur. Elle ignorait s'il s'agissait là d'une bonne action, mais elle n'avait même plus la force de se poser la question.
Elle fit une courte pause avant de reprendre de plus belle, prenant de l'assurance à chaque mot.

"Et si vous l'avez déjà fait, pourquoi ne pas me dire où il est ? J'ai eu raison de lui la dernière fois, mais vous êtes sans doute bien placé pour savoir qu'il m'influence également. Pourquoi ne pas tenter votre chance ? Peut-être que c'est moi qui me perdrai, cette fois."


Crédit : Cameronbaum

Elle releva les yeux vers ceux de Lucifer, ou du moins de son vaisseau, et soutint son regard. Ce n'était pas facile. Elle avait le sentiment que ses prunelles pouvaient voir à travers ses habits, sa peau, jusqu'à son coeur, et qu'elles auraient pu le consumer rien qu'en l'observant. Mais elle était décidée à lui montrer sa détermination et à obtenir, sinon son respect ou son admiration, ce dont elle préférait de toute façon s'abstenir, au moins son attention.

Sa pauvre tentative de négociation fut balayée comme d'un revers de main, et encore, il lui avait presque prêté moins d'attention qu'à un insecte agaçant qui bourdonnait à vos oreilles. Il se donnait aussi visiblement un malin plaisir à manipuler ses sentiments pour leur faire faire le rodéo le plus endiablé possible, et il y parvenait très bien. Le pire était qu'elle voyait arriver chaque coup, et elle était incapable de les contrer.
L'injure lancée à son mari. Le langage la fit rougir, et l'injustice de l'insulte la mit immédiatement en colère. Bien entendu, elle était une whitelighter, elle tendait vers le bien... Cela ne voulait pas dire qu'elle ne pouvait pas exécrer un serviteur du Diable... Ou Lucifer lui-même.


(Crédit : ileon.tistory.com)

Elle ne fit rien, évidemment. Elle était coincée, se dérober lui était impossible aussi longtemps que le démon voudrait la retenir là, lui cracher à la figure était une option mais qui entraînerait une fin très rapidement... Ou pas, dans le pire des cas.

"Ce n'était pas comme si je te demandais ton âme, non ? J'aurais pu, mais vois comme je suis clément."

"C'est... J'imagine."

Elle l'avait dit plus pour elle-même que pour lui, et il continua d'ailleurs comme si elle ne l'avait jamais interrompu.

"Je suis déjà suffisamment bon d'accepter de vous réunir tous les deux."

... Ah ? Première nouvelle. Mais elle se doutait bien que ce ne serait pas aussi simple. Pourtant, son coeur fit un soubresaut dans sa poitrine et son regard pétilla une seconde sous l'effet de l'espoir. Le retenir s'apparentait à maîtriser un cheval sauvage. Impossible de l'arrêter, on pouvait tout au plus limiter les dégâts. De toute façon, il était bien trop tard pour ne rien laisser paraître, et elle savait pertinemment qu'il avait déjà dû relever chaque détail, chaque mouvement, chaque réaction qu'elle avait.

Aussitôt qu'il l'accusa, elle tenta de se défendre, comme si le maître des Enfers pouvait en avoir quelque chose à cirer. C'était plus fort qu'elle.

"Je n'ai pas !... Ce n'est pas..."

"Tais-toi, Leigh, pour l'amour de Dieu !", lui souffla la proverbiale petite voix dans sa tête. Elle referma la bouche et serra les dents, se promettant fermement de ne plus se laisser emporter pour si peu. Elle se tint prête à encaisser la suite.


(Crédit : Spiderliliez)

Quand il posa la main sur son épaule, elle tourna la tête pour la regarder et ne put retenir un très léger mouvement de recul qui fut stoppé par la tension qui avait gagné tout son corps. Le Diable la touchait. Oh, il aurait d'ailleurs pu décider de faire ce qu'il voulait, ce n'était pas comme si elle avait été en mesure de l'arrêter, elle le savait très bien. Mais le geste, un peu paternel, un peu possessif, la mettait beaucoup plus mal à l'aise que s'il l'avait attaquée ou violentée. Elle manqua d'ailleurs s'étouffer en échouant à déglutir tellement sa gorge était serrée.
C'était sans doute le signal pour qu'il lui assène le coup de grâce : il proposait de les réunir. Elle garda la tête tournée de côté pour ne surtout pas croiser son regard avec des yeux anormalement humides. Elle en rêvait depuis des centaines d'années, après tout. C'était la chose qu'elle désirait le plus au moins. Elle n'imaginait même pas le prix qu'il s'apprêtait à lui demander de payer.

"tu devras passer du temps avec moi."

Elle redressa la tête et son visage se retrouva à quelques centimètres seulement de celui du vaisseau de Lucifer. Surprise, elle laissa une bouffée d'air entrer d'un coup dans ses poumons plutôt que de sursauter. Ca mettait un peu de variété dans ses réaction, au moins. Elle réfléchissait à toute vitesse. Ce qui était certain, c'était que la proposition était tout sauf innocente. Il n'aurait jamais proposé un pacte qui ne le favorisait pas grandement.
Et de toute façon, les termes étaient bien, bien trop vagues pour qu'elle donne son accord à l'aveugle et prie pour qu'ils veuillent bien dire ce qu'elle s'était imaginé. Son coeur battait à tout rompre, et elle avait l'impression de jouer sa vie, et même bien plus, en quelques mots.

"... Définissez "passer du temps". Dans les deux cas. Et selon quel ratio j'obtiendrai un moment avec lui."

Elle avait, sottement, imaginé que Lucifer le libère de ses obligations. Mais si elle pouvait obtenir ne serait-ce qu'une minute... Elle eut une pensée atrocement coupable pour Celui qui avait fait d'elle ce qu'elle était. Elle s'était promis, jamais de pacte avec un démon, jamais... Mais ce n'était pas n'importe qui, et il ne lui offrait pas n'importe quoi.

"Et... Si je refuse ? J'imagine que vous ne me laisserez pas tenter de passer par d'autres biais."

Sa voix se cassait à nouveau légèrement, satané larynx, vas-tu t'élargir et cesser de me donner cet air niais et fragile ? J'ai besoin de toutes mes capacités ! Et encore... Ca ne suffirait probablement pas. Elle avait montré de l'intérêt pour la proposition de Lucifer. Au fond d'elle, elle savait déjà qu'elle était perdue.


(Crédit : fanpop.com)

Elle ne broncha pas sous les moqueries et hocha la tête d'un air sérieux. Elle pourrait au moins avoir un minimum d'intimité avec son mari si elle le désirait. Quant à savoir si Lucifer enverrait des démons espionner ou les observerait lui-même, ça... Elle doutait de pouvoir influencer dessus quand bien même elle aurait tenté de prendre toutes les précautions possibles. Après tout, il était maître dans l'art de contourner les règles, quand il ne les brisait pas en les percutant de plein fouet.
Il n'avait pas l'air ravi d'avoir à allonger leur discussion et elle espérait qu'il serait aussi impatient lors de leurs rencontres.
Elle manqua de s'offusquer lorsqu'il sous-entendit qu'elle pourrait tenter de le spolier de son dû, avant de se rappeler à qui elle avait affaire et de se forcer à le reprendre sur un ton plus poli qu'elle ne l'aurait dit à une personne moins ... influente.

"Je ne parle pas de vous voler le temps que je vous devrai, simplement de mettre fin à une rencontre si je le souhaite - et de rattraper le reste plus tard. Ce serait ma garantie. Sinon, je vous demanderai votre parole de ne pas chercher à me faire du mal et de ne jamais interagir avec qui que ce soit parmi mon entourage pendant nos entrevues."

Le sourire de Lucifer à la mention des sévices que subirait son mari la fit frémir. Sa promesse en carton ne convainquit pas du tout la gardienne. A contrecoeur, elle reprit la parole, de la voix la plus ferme qu'elle pouvait conjurer.

"Je pensais plus à une condition qui certifie que vous ne lui ferez strictement aucun mal, ni à lui ni à ses proches, pour une raison qui soit de près ou de loin en rapport avec moi. Pour former ce... pacte, si vous y tenez."

Elle ne doutait pas qu'il trouve malgré tout le moyen de punir son mari. Mais elle aurait au moins le mérite d'avoir essayé de le protéger. Restait simplement à ce que Lucifer accepte ces modifications. De toute façon, il avait l'air impatient. Elle ne le croyait pas une seconde quand il affirmait qu'il voulait simplement apprendre à connaître les gardiens au travers d'elle, comme si le Prince des Enfers avec son armée d'êtres surpuissants dont les plus forts étaient entièrement corrompus et dévoués à le servir jusqu'à la mort, ou pire, ne pouvait pas se procurer un gardien aussi facilement qu'on commandait dans un fast food.
Mais elle ne voulut pas prendre le risque d'insister. Il était déjà assez agacé par ses tentatives de sauver les meubles qu'elle pouvait récupérer au milieu de l'océan d'absurdité qu'était cet accord entre un envoyé de Dieu et le Diable en personne.

"Si mes exigences vous conviennent..."

Elle avait la même impression que lorsqu'on lui avait passé la corde au cou. Celle de vaciller au bord du vide, prête à choir d'un piédestal, comme une Ophélie de sa branche, mais pourtant elle était incapable d'agir pour l'éviter. Elle regardait le drame arriver à toute vitesse vers elle avec la vivacité du vent, un vent qui aurait pu déraciner son existence, mais elle restait immobile. Pire, elle se penchait en avant et fermait les yeux, ouvrant les bras comme pour s'offrir à la calamité qui s'apprêtait à s'abattre sur elle, dans un ultime moment de calme avant la tempête.

"... Alors je suis prête à sceller ce pacte."


(Crédit : Wattpad.com)

Ca ne l'empêcha pas de réciter une prière intérieurement, dans l'espoir que le Seigneur miséricordieux lui pardonne son péché désespéré et ne la condamne pas à l'Enfer qu'elle méritait, pas si cela signifiait qu'elle serait séparée de celui qu'elle aimait à tout jamais.

"Est-ce que nous devons faire quelque chose de particulier, ou est-ce que nos paroles suffiront ?"

Elle avait bien sûr entendu parler des pactes de sang, des sacrifices lors des messes noires, des drogues et des poisons que les fidèles ingéraient, et d'actes encore plus obscènes qu'il fallait selon le conteur effectuer pour entrer en communication avec le Diable et obtenir ses faveurs. Elle n'y croyait qu'à moitié, après tout, les gens aimaient à exagérer les histoires qu'ils transmettaient, mais mieux valait se renseigner avant d'entamer tout type de rituel. Elle avait encore de très vifs souvenirs du récit des événements de Salem et elle ne comptait pas faire de crise de convulsion en pleine rue comme l'enfant qui avait mis le feu aux poudres, même si on ne la pendrait sans doute plus pour ça à l'époque contemporaine.