La vie avait bien repris depuis plusieurs mois. Même moi, j’avais réussi à avancer. En même temps, ça n’était pas bien difficile. Je n’étais pas attachée à cette école à ce moment-là. Je venais à peine de rentrer, Théophile venait à peine de dispraitre et Adrian venait tout juste de trahir notre famille. Donc que l’institut ait été touchée physiquement par ce Projet Shadow n’était rien à mes yeux égoïstes. Mais je pense que si une nouvelle attaque de cette ampleur se produisait, je réagirais différemment. Quatre mois nous séparait de cette journée. Et en l’espace de tout de temps, j’ai pu m’attacher à cette nouvelle vie. Elle était plus agréable, plus douce et plus colorée que celle avec laquelle j’avais vécu ces derniers mois. J’avais beaucoup moins de temps qu’avant et donc beaucoup moins de clients. Mais je continuais sans souci à rembourser ce mafieux d’Anderson. La vie recommençait à me sourire et la seule chose que je regrettais était l’absence de plusieurs piliers dans ma vie. Théophile, dont la disparition datant de plusieurs mois. Adriel, mon cher triplé avec qui je partageais 60% de ma journée. Abby. Parce qu’elle restait ma sœur. Et l’éloignement nous permettait de mieux nous apprécier et de moins nous taper sur le système. Mais parmi ces absents se trouvaient aussi Lancelot. Il était présent physiquement. Mais mentalement, l’impression de l’avoir perdu en même temps que mon ainé était présente. Je pouvais le comprendre. Enfin. Il aurait fallu attendre 17ans pour que je comprenne ce béguin amoureux dont tous les adolescents parlaient. Mais quand enfin je comprenais cette sensation, je comprenais aussi ce que ça faisait de se faire abandonner par celui-ci. J’étais récupérable. Je m’y faisais. J’avais presque fait un trait complet sur ce passé. Et j’avais l’impression que ça ne serait pas pareil pour Lancelot.

Je me demandais ce qu’il se tramait dans son esprit. Surtout quand il passait dans le hall d’entrée ou l’avis de recherche présentant mon grand frère comme un « mutant potentiellement dangereux », était affiché. Je le regardais encore. A chaque fois que je me retrouvais seule, j’en profitais pour imprimer les traits qu’il avait sur cette photo. Quand la foule m’entourait, je baissais la tête et fulminais contre ceux le jugeant. J’avais mûri sur cette situation, après avoir vu la mort de si près. Tant mûri que j’avais enfin décide de me mettre sérieusement dans l’apprentissage de mes mutations. Aussi bien pour ma première, qui n’était au départ qu’un jeu, que pour ma seconde, qui m’avait bien effrayé. Et je refusais de poursuivre sur cette voix. Si j’avais vu ce nouveau pouvoir comme une mauvaise chose quand il s’était déclenché en plein bal sur mon meilleur ami, désormais, je voyais ça comme une nouvelle force.

Le corps enseignant de l’institut semblait apprécier mon changement de point de vue sur tout ça. L’un d’entre eux m’avait même parlé d’un ami à lui, militaire et qui partageait le même don. J’avais fini par accepter sa proposition : prendre des cours ou en tout cas, rencontrer Devin pour commencer. Il ne devrait pas tarder, le professeur m’avait dit de me tenir dans le hall d’entrée à 14heures tapante. Pas besoin de vérifier mon téléphone ou l’horloge de l’institut pour savoir que j’étais à la bonne heure. Je le savais. Et je préférais continuer de défigurer la photo de mon ainé.

Un courant d’air traversant le couloir me reprit de mes pensées, mais je restais fixée quelques secondes encore sur l’affiche. Rien ne me disait que c’était lui mon professeur particulier. C’est seulement lorsqu’il me rejoignit dans mon immobilité, face au panneau d’affichage que je tournais la tête. Après ses premières observations. Dans un mouvement de fuite, je fis un pas en arrière, comme pour m’éloigner physiquement et mentalement du portrait, comme pour prouver mon innocence dans cette affaire. Aussi bien à lui qu’à moi. J’avais encore du mal à m’innocenter moi-même de toute cette affaire, me sentant encore coupable de la tournure de tous ces évènements dans notre famille. Me sentant coupable de la culpabilité de mon frère. Je me méfiais donc. De cet homme qui finit par se présenter comme étant celui que j’attendais. Celui qui était censé m’aider. Je tanguais entre pensées positives comme négatives, ne sachant jamais sur quel pied danser. Je finis par enfin offrir un hochement de tête comme toute première réponse à cet homme que je finissais enfin par observer. Je ne savais pas si ses mots étaient finalement nécessaires. J’aurai peut-être préféré qu’il garde pour lui ce qu’il savait sur moi et ma famille. Même si de l’autre côté, le savoir neutre -contrairement à la quasi-totalité de l’institut- me procurait un léger bien-être. J’aimerai entendre de telles paroles parmi toutes celles que j’entends à chaque fois que je passais par là. Je lui offris un sourire léger avant de me racler la gorge et de croiser les bras sur ma poitrine.

« Penser le contraire aurait été idiot… Et mal placé. Comme beaucoup de personnes ici. »

Je commençai durement, me sentant encore peut-être trop proche de ce portrait duquel je m’éloignais encore de quelques pas pour le quitter définitivement visuellement. Je finis par accorder toute mon attention à celui qui prenait du temps pour moi.

« Je pense que on vous l’a dit si vous connaissez cette histoire mais au cas ou… Je suis Antonella Tsumi. Je vous remercie d’avoir répondu oui à mon professeur. »

Désormais à l’institut, j’essayais de faire des efforts quand à mon américain qui était encore beaucoup trop coupé par mon accent roulant les R et me faisait faire d’autres maladresses linguistiques. Je me raclai la gorge en essayant de maintenir mon sourire. C’était une chance que de l’avoir et je ne voulais surement pas montrer mon côté tête brûlée. Je lui étais reconnaissante même si je ne savais pas en quoi allait consister notre entrainement. Ni même si j’allais pouvoir retrouver cette force qui me quittait puis revenait plus tard de manière totalement hasardeuse. Mais j’étais prête à le suivre sagement, lui faisant signe que j’étais prête à décoller en prenant mon sac à dos. Lui emboiter le pas, oui, mais pas de la manière la plus timide ou la plus muette. Il n’y avait pas que mon américain qui était à surveiller. Ma curiosité et mon franc-parler étaient aussi quelques choses que l’on me reprochait.

« Pardon mais… Vous avez fait quoi de mal ? Si c’est pour l’Amérique, ça ne compte pas. C’est pour votre pays. » ajoutais-je en faisant référence à son présent militaire. Le professeur ne m’avait délivré que quelques renseignements sur lui, alors que ce Devin semblait bien plus en connaitre sur mon sujet. Puis bon, je partais du principe qu’il y avait fait référence et que ça ne le dérangerait pas d’en parler de manière plus détaillée. Je voulais que l’on soit à égalité… Et vérifier si cet homme ne cherchait pas à m’amadouer en se plaçant à la même hauteur qu’Adrian.